Du 9 au 12 décembre, Building Bridges accueillera des participants venus de plus de cent pays. Entretien avec Patrick Odier, le président de la manifestation genevoise.
Alors qu'en Europe les esprits changent et que l'idée d'une TVA différenciée selon des critères environnementaux circule dans les hémicycles, Adèle Thorens Goumaz se demande si la Suisse ne devrait pas suivre le mouvement.
On présente souvent, pour ne pas dire toujours, la domination de la Chine dans les technologies vertes comme le résultat d’une politique étatique soigneusement élaborée au sommet de l’État, reléguant l’Europe et les États-Unis en ligue B. Les deux géants de l’économie du XXe siècle seraient les dindons d’une politique systématique de dumping et de subventionnement massif orchestré par les capitalistes rouges de Pékin.
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Cette vision très répandue nous aveugle. La réalité est beaucoup plus triviale. Ce sont les incohérences des politiques européennes et américaines qui sont à l’origine du boom spectaculaire des industries vertes en Chine. L’Occident n’a tout simplement pas cru au potentiel du solaire photovoltaïque (PV). Une fois l’erreur avérée, il était déjà trop tard.
Examinons les faits
David Fickling, éditorialiste chez Bloomberg, l’une des principales agences de presse américaine, raconte comment les États-Unis ont développé l’industrie photovoltaïque à partir d’un quasi-monopole dans la fourniture de silicium issu de la production de puces pour ordinateur, avant d’y renoncer à la fin des années 1990 et d’abandonner toute ambition industrielle au début des années 2000. La situation a été comparable en Europe: les États ont soutenu, puis stoppé leurs efforts dans le développement solaire, préférant même transférer des équipements stratégiques en Chine où une industrie artisanale cherchait des débouchés. Américains et Européens gagnent alors beaucoup d’argent en Chine, y compris en exportant du silicium de qualité PV!
Une décennie plus tard, ce sont les industriels chinois qui, regroupés en grandes compagnies, sont les maîtres du jeu et imposent des prix si bas que l’industrie européenne et américaine du PV fera faillite. L’imposition par Washington et Bruxelles de droits de douane exorbitants n’y changera rien. Au contraire. La guerre tarifaire a accéléré la baisse des prix et stimulé le marché intérieur chinois!
La guerre des tarifs a aggravé la situation
En moins d’une décennie, la Chine a écrasé tous ses concurrents et contrôle aujourd’hui 90% de la production de cellules PV, installant chez elle l’équivalent de ce que le reste du monde achète en une année!
Les géants chinois du solaire n’ont pas été planifiés par Pékin; ils sont nés de la volonté de petits entrepreneurs chinois ou de vieilles usines cherchant à se diversifier, d’entreprises ayant accès à une électricité hydraulique abondante et ne trouvant pas d’autres clients. Ont-ils bénéficié de subventions et d’avantages pour se développer? «Oui», répond David Fickling mais ces soutiens sont tout à fait comparables à ceux reçus par les géants de l’industrie européenne et américaine; ils sont même inférieurs dans nombre de cas analysés!
Non, la grande différence tient dans la persévérance des producteurs chinois et la stabilité des politiques gouvernementales en faveur des technologies vertes, jugées stratégiques par le pouvoir capitalocommuniste de Pékin.
Le solaire plus fort qu’ExxonMobil
L’auteur en tire cette conclusion: si la Chine est devenue la puissance solaire du monde, c’est parce qu’elle y a cru quand d’autres doutaient encore de cette forme d’énergie. «C’est un échec tragique de vision et d’ambition. Il y a un siècle, à Détroit, les entrepreneurs automobiles américains ont créé une industrie qui a irrémédiablement transformé les villes, les pays et les économies. Cette fois-ci, ce sont les innovateurs chinois qui changent le monde.»
À tel point que l’on peut affirmer aujourd’hui que l’énergie solaire sera, grâce à la Chine, la première source d’électricité de la planète au tournant des années 2030. Un simple calcul montre que les cellules solaires installées dans le monde par les producteurs chinois produiront, à terme, cinq fois plus d’énergie utile que les réserves de pétrole du géant américain ExxonMobil!
Mêmes erreurs à l’avenir?
Allons-nous répéter les erreurs des dernières décennies en tardant à investir dans les énergies vertes? Le risque n’a jamais été aussi important dans une période où l’on cherche partout à économiser et à renier les engagements pris. Le sort tragique de l’industrie automobile américaine et européenne devrait pourtant nous alerter. Cette industrie a tout fait pour retarder la transition vers la propulsion électrique. Aujourd’hui, elle a pris tellement de retard qu’elle risque de disparaître.
Les décisions qui seront prises par les États ces prochains mois seront décisives pour ceux qui investissent dans les technologies bas carbone. Les derniers rapports sur l’état de la transition énergétique dans le monde montrent clairement que les objectifs de l’Accord de Paris (tripler les investissements dans les énergies renouvelables, notamment) sont sur le point d’être atteints (ils le sont aux deux tiers en 2024) mais risquent de ne pas l’être si on ralentit l’allure.
Ultime chance
L’Europe et les États-Unis, s’ils ont perdu la bataille industrielle dans la première vague de l’énergie verte, conservent une chance de se refaire en investissant dans la science et en maintenant des conditions favorables aux investissements. Quatre nouvelles vagues sont prévisibles: celle du stockage, des réseaux dits intelligents, de l’hydrogène et de la capture du CO2. Ces quatre domaines exigent des politiques volontaristes et constantes. La Chine l’a parfaitement compris en les intégrant dans ses plans quinquennaux.
Qu’en est-il à Berne? Tout montre que l’on est prêt à répéter les erreurs des années nonante à 2000. Ne propose-t-on pas de couper dans la recherche énergétique et de pénaliser ceux qui ont installé des installations solaires, faute d’avoir anticipé à temps la modernisation des réseaux et prévu un stockage décentralisé?
Cette chronique est également parue dans les colonnes de 24 Heures et Tribune de Genève.
Du 9 au 12 décembre, Building Bridges accueillera des participants venus de plus de cent pays. Entretien avec Patrick Odier, le président de la manifestation genevoise.
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