Elle n’aura pas survécu cinq ans. Depuis vendredi dernier, c’est officiel : la « Net-Zero Banking Alliance » (NZBA), programme onusien visant la neutralité carbone du secteur bancaire, a annoncé la fin de ses activités. Cette débandade, provoquée avant tout par le désengagement des grandes banques mondiales, interpelle. Dans un contexte toujours marqué par l’urgence climatique et les tensions énergétiques, elle invite à la réflexion : comment redonner un cap clair — un second souffle — à la finance durable ? Et quel rôle la Suisse pourrait-elle jouer dans cette reconstruction ?
Nous concluons notre série sur la finance durable avec Sabine Döbeli, directrice générale de Swiss Sustainable Finance (SSF). Fondée en 2014, cette association regroupe plus de 200 membres et partenaires : banques, gestionnaires d’actifs, investisseurs institutionnels, prestataires de services, organismes de recherche et de formation, ainsi que diverses autres organisations engagées dans la finance responsable.
La disparition de la NZBA comme un recul flagrant du secteur bancaire dans la quête d’une finance véritablement durable. Dix ans après l’Accord de Paris, comment l’expliquer ?
Il faut distinguer l’évolution d’une initiative de l’engagement propre des banques en faveur de la durabilité. Sur ce dernier point, nous ne constatons pas de recul significatif — du moins en Europe. De nombreuses institutions financières se sont fixé des objectifs climatiques ambitieux et les poursuivent dans leurs principaux domaines d’activité. Elles publient régulièrement des rapports de durabilité où elles rendent compte des progrès accomplis.
Je n’ai d’ailleurs lu, dans aucun communiqué relatif aux retraits de la NZBA, que les banques aient renoncé à leurs objectifs climatiques. En réalité, ces départs relèvent bien davantage du climat politique ambiant et de la crainte d’une exposition accrue à des risques juridiques.
Dans ce contexte, les banques peuvent-elles réellement défendre l’intérêt de leurs clients tout en défendant le climat ?
Si les banques veulent protéger les intérêts de leurs clients, il est essentiel qu’elles tiennent compte des facteurs climatiques. La question est de savoir dans quelle mesure elles peuvent activement protéger le climat— un point qu’il conviendrait de développer. Les prestataires de services financiers jouent un rôle important dans la transition vers une économie durable et respectueuse du climat. Dans la gestion d’actifs, ils peuvent orienter de nouveaux capitaux vers des entreprises qui développent des solutions durables. En exerçant leurs droits de vote et en dialoguant avec les entreprises, ils peuvent les encourager à élaborer des stratégies crédibles en matière de climat et de durabilité.
Dans le secteur du financement, il est important que les risques liés aux activités non durables soient correctement intégrés dans les prix. De plus, les banques peuvent accompagner et soutenir leurs clients entreprises dans leur transition vers des modèles plus respectueux du climat. Elles jouent également un rôle clé dans le secteur hypothécaire : elles peuvent informer leurs clients sur les programmes de subvention et accorder des hypothèques vertes pour les rénovations.
Enfin, dans la gestion d’actifs, les banques peuvent sensibiliser leurs clients aux opportunités offertes par les investissements durables. Cependant, il ne faut pas oublier que ce sont les entreprises et les particuliers qui prennent les décisions sur le degré de durabilité qu’ils souhaitent adopter – et cela dépend fortement du cadre juridique. Des initiatives de la part de tous les acteurs sont nécessaires si nous voulons atteindre les objectifs climatiques fixés – les banques n’agissent pas isolément.
La transition vers une alimentation énergétique plus durable se poursuit, et les banques ainsi que les investisseurs sont indispensables pour la financer.
Le principal problème n’est-il pas aujourd’hui lié à l’impression que la finance durable – et même le mot « durabilité » – sont devenus des fourre-tout sans réelle consistance ?
Je ne suis pas sûr de comprendre le problème auquel vous faites référence. Swiss Sustainable Finance publie depuis de nombreuses années des études de marché sur les investissements durables. Celles-ci s’appuient sur des approches et des terminologies largement reconnues et mettent en évidence la diversité du marché des investissements durables.
Les investissements intégrant des critères de durabilité poursuivent des objectifs variés : améliorer le profil risque/rendement, s’aligner sur des valeurs ou contribuer activement à des améliorations. L’autorégulation des associations professionnelles définit les types d’investissements pouvant être commercialisés comme « durables ».
De manière similaire aux critères ESG, ne faudrait-il pas une refonte complète du terme finance durable, afin de tracer une nouvelle voie et retrouver la dynamique survenue à Paris 2015 ?
La finance durable est un domaine d’activité très diversifié qui contribue au changement de multiples manières. Outre les investissements, elle englobe également des instruments tels que les obligations vertes et durables ou les prêts liés à la durabilité. Tous jouent un rôle important pour soutenir l’économie dans sa transition vers un avenir durable.
Même si certains pays tentent actuellement de faire marche arrière, la tendance mondiale vers une plus grande durabilité demeure forte. Un exemple : en Chine, l’an dernier, 56 % de la nouvelle capacité énergétique installée provenait de sources renouvelables, contre seulement 2 % pour le nucléaire. La transition vers une alimentation énergétique plus durable se poursuit, et les banques ainsi que les investisseurs sont indispensables pour la financer.
Quelles actions pourraient être menées pour changer le narratif actuel autour de la finance durable, narratif désormais entaché par le déclin de la NZBA ?
Je ne pense pas que la finance durable souffrira de la fin d’une seule initiative. Le véritable défi réside dans la situation politique mondiale, les conflits croissants et les guerres, ainsi que dans l’érosion des accords commerciaux internationaux. Ces développements engendrent des peurs, mobilisent des fonds publics dont nous aurions besoin ailleurs et ralentissent la transformation urgente à opérer. À court terme, cela peut également affecter la performance de certains secteurs. Mais à long terme, la tendance est claire : les entreprises dotées de modèles économiques durables sont mieux préparées pour l’avenir.
Avec des événements comme « Building Bridges », la Suisse ne devrait-elle pas tout faire pour s’assurer un rôle de leader dans le domaine de la finance durable ?
C’est précisément l’un des objectifs clés de Building Bridges. C’est aussi la raison pour laquelle Swiss Sustainable Finance a cofondé cette initiative il y a six ans en tant que partenaire fondateur. La Suisse dispose d’une expertise considérable et d’une grande capacité d’innovation dans le domaine de la finance durable, que ce soit dans les fonds thématiques, l’impact investing ou la gestion de patrimoine durable. C’est une opportunité majeure pour la place financière, et Building Bridges contribue à faire en sorte que la Suisse soit perçue comme un centre financier durable de premier plan.