« La rationalité financière d'une mutualisation des espaces n’est pas systématique »

Entretien avec David Ribeiro, consultant indépendant spécialisé en Assistance à Maîtrise d'Ouvrage (AMO).

« La rationalité financière d'une mutualisation des espaces n’est pas systématique »
David Ribeiro, consultant indépendant spécialisé en Assistance à Maîtrise d'Ouvrage (AMO).

« En transformant les immeubles lors de leur assainissement de manière à réduire les espaces privatifs et augmenter les surfaces mutualisées, il serait possible d'offrir à chaque habitant plus de mètres carrés tout en diminuant la surface globale par habitant », écrivait, dans une précédente opinion, Philippe Thalmann.

Selon le professeur d'économie de l'environnement à l'EPFL, ce modèle peut être économiquement viable. « Si le même bâtiment accueille 40 personnes au lieu de 30, il devient possible d’augmenter les revenus locatifs tout en réduisant le loyer par personne. Le propriétaire rentabilise ainsi l'assainissement et la transformation du bâtiment. Tout le monde est gagnant ! »

Suite aux nombreuses réactions suscitées par cette idée d'une plus grande mutualisation des espaces, nous avons voulu connaître l'opinion des acteurs et experts du secteur immobilier. Troisième volet de cette série avec David Ribeiro, consultant indépendant spécialisé en Assistance à Maîtrise d'Ouvrage (AMO).

La mutualisation accrue des espaces pourrait-elle être une piste sérieuse pour l’avenir du secteur immobilier en Suisse ?

Cette proposition soulève un ensemble d’interrogations qu’il convient d’approfondir selon plusieurs axes : la rationalité économique, les tendances sociétales et la nature de la demande sous-jacente, ainsi que le cadre légal en vigueur.

Selon l’architecture du bâtiment existant, ce type de travaux peut engendrer des coûts très variables d’un immeuble à l’autre (emplacement des murs porteurs, apport de lumière naturelle, disposition des gaines techniques pour l’alimentation des locaux, espaces de circulation, etc.). S’il est pertinent d’examiner les possibilités de densification ou de modifications typologiques lors de rénovations lourdes, leur généralisation ne semble pas aisée à mettre en pratique. 

En raison de la forte variabilité des coûts associés, la rationalité économique de telles modifications n’est pas systématique. Il est aussi important d’ajouter que ce type de travaux n’est pas non plus compatible avec le maintien des locataires en place et demande à les reloger ou à résilier les baux, ce qui représente un risque d’opposition significatif pour le propriétaire.

Les bâtiments doivent également répondre aux besoins des occupants, et à ce titre, il est essentiel de prendre en compte l’évolution des tendances sociétales. Nous observons une individualisation croissante des modes de vie : les couples se forment plus tard, se séparent plus fréquemment, et les recompositions familiales sont de plus en plus nombreuses. À cela s’ajoute le vieillissement progressif de la population.

Ces évolutions entraînent une augmentation structurelle du nombre de ménages (davantage d’unités d’habitation), à population constante. Cela se traduit par une hausse de la demande pour des appartements de petite taille (1 à 3 pièces) et une diminution de celle pour les appartements de grande taille (4 pièces et plus). Si ce changement structurel est à l’œuvre, il n’est toutefois pas certain que la mutualisation des espaces de vie soit acceptée dans le cadre d’une société aux modes de vie qui tendent vers une plus grande individualisation.

Finalement, la prise en compte du cadre légal en vigueur est essentielle pour comprendre les enjeux liés à la pénurie de logements et aux obstacles à la rénovation énergétique. Les loyers sont fixés soit en fonction d’un prix de marché, reflétant l’équilibre entre l’offre et la demande, soit indexés sur le rendement du capital investi dans le bâtiment. Ce système de fixation des loyers, combiné à une rareté persistante de l’offre et à un effet de substitution quasi inexistant dans le domaine du logement, a conduit à une hausse des loyers largement supérieure à celle du coût de la vie, créant ainsi de fortes tensions sur le marché.

Avec du recul, nous constatons que ce cadre légal permet aux propriétaires de louer des biens répondant à des standards anciens à un prix proche de celui de logements modernes, dès lors que la rotation des locataires est suffisante. Par ailleurs, ce système dissuade les locataires de changer d’appartement lorsque leur situation personnelle les incite à chercher une surface plus petite, puisque c’est précisément lors du changement de locataire que les loyers peuvent être augmentés.

Ces deux constats révèlent une défaillance du marché, rendant les rénovations énergétiques peu rentables. Un changement de paradigme, introduisant un système de fixation des loyers indexé sur les standards énergétiques et qualitatifs du bâtiment, rendrait beaucoup plus rentables.

Les surélévations présentent toutefois plusieurs avantages : elles permettent de maintenir les locataires en place, de limiter les augmentations de loyers pour les logements existants déjà rénovés, et d’assurer une rentabilité plus élevée sur les nouvelles surfaces construites.

Cette mutualisation des espaces permettrait-elle de consacrer davantage de ressources à la rénovation plutôt qu’à la construction de nouveaux logements – et ainsi combler le retard pris par la Suisse dans la transformation de son parc immobilier ?

La rénovation énergétique des bâtiments ne doit pas être opposée à la production de nouveaux logements. Il est impératif d’accélérer simultanément sur ces deux axes, car la pénurie de logements entraîne une hausse des prix du foncier et des loyers, ce qui, par effet de cascade, réduit voire annule la rentabilité des rénovations énergétiques.

Dans une réflexion globale sur la densification, la mutualisation des espaces constitue une solution, au même titre que les surélévations (ajout d’un ou plusieurs étages à un bâtiment existant) ou la densification du tissu urbain (transformation d’une zone à faible ou moyenne densité en zone à moyenne ou forte densité).

L’ensemble de ces approches permet de loger davantage de personnes sans empiéter sur les espaces verts, d’améliorer les standards énergétiques des bâtiments, tout en offrant aux propriétaires la possibilité de générer de nouveaux revenus locatifs et ainsi de rentabiliser leurs travaux.

Les surélévations présentent toutefois plusieurs avantages : elles permettent de maintenir les locataires en place, de limiter les augmentations de loyers pour les logements existants déjà rénovés, et d’assurer une rentabilité plus élevée sur les nouvelles surfaces construites. La pression sur les loyers se concentre ainsi uniquement sur ces nouvelles surfaces, rendant la rentabilité plus facilement atteignable pour les propriétaires et réduisant les besoins en subventions publiques. Ce type d’opération est plus facilement réplicable que la mutualisation des espaces et s’accorde mieux avec les modes de vie actuels, en phase avec les grandes tendances sociétales.

Une autre piste de densification, dont la faisabilité et la rentabilité sont avérées, consiste à transformer des zones à faible densité en zones à densité moyenne. Cela impliquerait de requalifier certaines zones de villas pour y autoriser la construction de petits immeubles de logements collectifs.

Ces formes de densification nécessitent cependant des modifications des droits à bâtir, qui relèvent des règlements communaux (hauteur constructible, nombre maximal d’unités locatives, etc.). Il est légitime de s’interroger sur les délais de mise en œuvre de telles adaptations dans le cadre actuel de l’aménagement du territoire, et sur la pertinence d’une gouvernance à l’échelle cantonale pour les zones les plus critiques.

Depuis des années, on entend cette nécessité de réduire la taille des logements, mais le secteur semble rester sourd à cette demande...

Les données relatives aux surfaces moyennes des logements selon l'époque de construction et le nombre de pièces sont disponibles. Nous observons une inflexion entre les époques de construction 2001-2005 et 2006-2010.

Il est toujours possible de faire mieux, en particulier pour les logements de standing ou les appartements de 6 pièces et plus. Toutefois, pour les logements non-standing, l’effort restera marginal et tendra asymptotiquement vers une valeur incompressible. En effet, pour chaque typologie de logement (1, 2, 3 ou 4 pièces), des surfaces minimales sont nécessaires pour les pièces et les espaces de circulation.

L’enjeu se situe donc davantage dans la manière dont ces logements sont occupés. Comme mentionné précédemment, le manque de fluidité du marché – notamment en raison des incitations à ne pas changer d’appartement pour éviter une hausse de loyer – semble avoir un impact plus significatif.

L’essentiel est de garder à l’esprit qu’une approche multicritères conduira à une stratégie du bâti bien plus résiliente.

Quelles pistes concrètes existent pour réduire l’impact climatique du secteur immobilier suisse ?

La première mesure à adopter, et qui offre le meilleur rapport impact/investissement, consiste à mesurer l’ensemble des fluides consommés (chauffage, rafraîchissement, électricité, eau sanitaire), ainsi que les températures de chauffe à l’intérieur des appartements, avec des contrôles annuels pour s’assurer qu’il n’y ait pas de dérive par rapport aux standards d’occupation du bâtiment.

Cette mesure de bon sens permet d’objectiver les consommations et de sensibiliser les usagers à leurs habitudes d’occupation. Elle nécessite très peu de ressources et peut être mise en place rapidement. Cette étape est essentielle, car même les bâtiments rénovés selon les standards les plus élevés peuvent consommer beaucoup d’énergie si les occupants ne sont pas sensibilisés à des usages conformes à l’efficience énergétique attendue.

Dans un second temps, il est possible de rationaliser l’effort de rénovation en priorisant les travaux sur les éléments du bâtiment ayant un fort impact sur l’efficience énergétique, tout en maintenant un coût budgétaire raisonnable. Il est également essentiel de veiller à ce que les matériaux et solutions retenus présentent une faible énergie grise et offrent une longue durée de vie.

Actuellement, les réflexions restent largement centrées sur la décarbonation des énergies et l’efficience énergétique. Toutefois, compte tenu de l’importance du bâti dans nos territoires et de la longue durée de son cycle de vie, il est nécessaire d’élargir la perspective au-delà des seuls enjeux climatiques, même si cela complexifie l’approche.

D’autres aspects essentiels ne doivent pas être sous-estimés :

  • La disponibilité des matières premières et l’énergie grise incorporée dans les matériaux.
  • L’intégration et le bien-être des occupants (lumière naturelle, qualité de l’air intérieur).
  • La prise en compte du vivant : veiller à ce que les espaces bâtis ne soient pas stériles, en aménageant les extérieurs de manière à favoriser la biodiversité.
  • L’adaptation du bâti aux défis des décennies à venir : vieillissement de la population, accessibilité, surchauffes estivales, pluies intenses, etc.
  • La diversification des affectations des surfaces bâties afin de réduire les besoins de mobilité.

Cette liste pourrait être prolongée, mais l’essentiel est de garder à l’esprit qu’une approche multicritères conduira à une stratégie du bâti bien plus résiliente.

Le secteur immobilier fait actuellement face à une suroffre de bureaux. Ces espaces, une fois réaménagés, ne pourraient-ils pas répondre au besoin croissant de logements intégrant davantage d’espaces mutualisés ?

Cela est d’autant plus vrai pour les bâtiments construits avec peu de cloisonnements, notamment ceux reposant sur une structure poteaux-poutres, sans murs porteurs intérieurs. Dans ces cas, il est beaucoup plus simple et économiquement rationnel de reconfigurer les espaces intérieurs pour les adapter à de nouveaux concepts d’aménagement.

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