Le 20 décembre 2024, pour répondre à l’initiative populaire « De l’électricité pour tous en tout temps (Stop au blackout) », le Conseil fédéral dévoilait son propre contre-projet. En consultation jusqu'au 3 avril, le texte propose de modifier la loi sur l’énergie nucléaire afin de permettre à de nouvelles centrales d’être à nouveau approuvées en Suisse.
« L’objectif est de favoriser l’ouverture aux différentes technologies dans la politique énergétique de la Suisse, en incluant l’énergie nucléaire, et donc de créer une assurance en matière d’approvisionnement en électricité pour le cas où les énergies renouvelables ne pourraient pas être développées dans la mesure souhaitée, où il n’y aurait pas assez de progrès dans le stockage saisonnier de l’électricité et où il n’y aurait pas d’autres solutions respectueuses du climat pour garantir la production d’électricité », peut-on lire sur le site de la Confédération.
Depuis le début de l'année, les réactions ont été nombreuses et souvent opposées. Depuis le début du mois de mars, nous faisons le point sur les différentes opinions et tentons de déterminer ce qu’en pensent les acteurs du secteur. On poursuit la série d'interviews avec Alexander Puhrer, responsable production nucléaire chez Alpiq. Entretien
Quelle est votre position et opinion sur l’idée de relancer la filière nucléaire en Suisse ?
Dans le domaine de l'énergie nucléaire, la question de la construction d'une nouvelle centrale nucléaire ne se pose pas actuellement pour nous. Nous nous concentrons clairement sur l'exploitation à long terme des centrales existantes de Gösgen et de Leibstadt, dans lesquelles nous détenons des participations. Cette mission exige toute notre attention.
Début octobre 2024, l'Association mondiale des exploitants de centrales nucléaires (WANO) a toutefois salué les performances des centrales nucléaires suisses. Celles-ci respectent non seulement les exigences de l'Autorité de surveillance nationale (IFSN), mais elles atteignent également les objectifs de sécurité et de disponibilité fixés par la WANO pour 2030.
Nous sommes convaincus que l'énergie nucléaire continuera de jouer un rôle clé dans la sécurité de l'approvisionnement pendant de nombreuses années. Comme toutes les centrales suisses disposent d'une autorisation d'exploitation illimitée, nous pouvons contribuer durablement à cet approvisionnement en poursuivant l'exploitation des installations existantes, aussi longtemps que cela reste sûr et économiquement viable.
Faut-il, à long terme, construire de nouvelles centrales pour garantir la sécurité énergétique de la Suisse ? Il est impossible de répondre à cette question aujourd'hui. Cela dépend de nombreux facteurs. Nous ne pouvons pas encore savoir à quel moment de nouvelles technologies seront suffisamment matures. C'est pourquoi il est essentiel de rester ouvert aux avancées technologiques.
Faut-il, à long terme, construire de nouvelles centrales pour garantir la sécurité énergétique de la Suisse ? Il est impossible de répondre à cette question aujourd'hui.
En cas de réouverture de cette porte en Suisse, sur quel type d'énergie nucléaire devrait-on miser : de nouveaux grands réacteurs ou de petits réacteurs modulaires de type SMR ou AMR ?
Actuellement, de nombreux concepts et technologies de centrales électriques font l'objet de recherches et de travaux. En principe, les avantages restent les mêmes qu'auparavant : la fission des noyaux atomiques permet de produire une quantité d’énergie considérable dans un espace restreint.
Il est difficile de dire aujourd'hui quel type de réacteur s'intégrerait le mieux au futur système énergétique suisse. Les grandes installations actuelles fournissent toujours une énergie en ruban très précieuse et contribuent ainsi à la stabilité du réseau. Les futurs grands réacteurs pourraient en faire de même et auraient également un peu plus de possibilités pour un fonctionnement plus flexible.
Dans un avenir où l'alimentation électrique sera très décentralisée et volatile en raison des nouvelles énergies renouvelables, il serait probablement plus judicieux d'intégrer des réacteurs plus petits, par exemple des SMR, dans le système énergétique, car leur conception modulaire et leurs coûts fixes plus faibles permettraient une plus grande flexibilité.
Depuis de nombreuses années, des recherches et des travaux ont été menés sur les concepts de réacteurs de quatrième génération. Toutefois, aucun n’a atteint une maturité suffisante pour une production commerciale d’électricité. Récemment, le développement des petits réacteurs modulaires (SMR) a pris le pas sur celui de la quatrième génération. Nous estimons donc qu’il est plus probable que des SMR à eau légère soient construits en premier, avant que l’attention ne se porte à nouveau sur les réacteurs de quatrième génération, principalement pour des applications spécifiques.
Quoi qu’il en soit, la Suisse doit suivre de près les avancées internationales en matière de nouveaux réacteurs et de leurs usages, afin de pouvoir prendre des décisions éclairées en cas de besoin pour une utilisation sur son territoire. Au niveau international, on constate que la forte demande des centres de données en « énergie en ruban » suscite un vif intérêt pour les SMR. Ces réacteurs sont perçus comme une solution prometteuse pour alimenter directement en électricité de nouveaux centres de données sans dépendre du réseau électrique. Plusieurs entreprises à travers le monde ont d’ailleurs lancé des programmes de développement de SMR.
La levée de l'interdiction de construire de nouvelles centrales serait certainement un signal fort au marché du travail ainsi qu’à la recherche et à la formation dans le domaine nucléaire.
En Suisse, dispose-t-on des capacités techniques et d'un nombre d'experts suffisants pour avoir de nouvelles ambitions dans le nucléaire et cela dans des délais raisonnables ?
Grâce à sa production d’énergie nucléaire et à ses centrales, la Suisse dispose d’un savoir-faire technique et d’une expertise très élevées dans le domaine nucléaire. De nouveaux projets nécessiteraient bien sûr des ressources humaines supplémentaires, mais en s’appuyant sur cette base existante et sur une industrie nucléaire mondiale offrant un vivier de talents, on peut supposer que les capacités nécessaires pour les nouveaux projets pourraient être fournies.
La levée de l'interdiction de construire de nouvelles centrales serait certainement un signal fort au marché du travail ainsi qu’à la recherche et à la formation dans le domaine nucléaire. Le maintien des compétences est également un élément clé pour assurer l’exploitation à long terme des centrales existantes. Une ouverture technologique combinée à un cadre réglementaire stable offrirait aux jeunes des perspectives professionnelles attractives, un facteur essentiel pour les inciter dès aujourd’hui à se former dans le domaine de l’énergie nucléaire.
Par ailleurs, la Confédération dispose de centres de compétences nucléaires de renommée internationale, notamment le PSI et les deux EPF. Pour garantir l’avenir de l’énergie nucléaire en Suisse, il est indispensable d’investir dans la recherche, l’enseignement et la préservation des compétences.
En cas de relance du nucléaire, ne faudrait-il pas craindre une réduction des investissements dans les autres sources d’énergies renouvelables ?
En juin 2024, le peuple suisse a donné un mandat clair en faveur des énergies renouvelables en approuvant la loi sur l’électricité. C'est pourquoi nous voulons mettre en œuvre nos projets dans l’hydroélectricité (notamment le projet de réservoir à buts multiples de Gornerli), le photovoltaïque alpin et l’énergie éolienne. Ces initiatives contribueront de manière significative à renforcer la sécurité de l’approvisionnement, en mettant particulièrement l’accent sur l’augmentation de la production hivernale, ainsi qu’à améliorer la protection du climat. Pour y parvenir, l’ensemble des acteurs – économie, société et politique – doivent tirer à la même corde et avancer dans la même direction.
L'autorisation, la planification et la construction d'une nouvelle centrale nucléaire prendraient au moins 15 à 20 ans. Par conséquent, le débat sur ces nouvelles infrastructures ne constitue pas une solution aux défis énergétiques actuels. Nous devons maintenant investir dans le développement des énergies renouvelables, dans le stockage et dans la flexibilité du réseau. C’est sur ces priorités que nous devons concentrer nos efforts.
Enfin, la Suisse participe et investit depuis de nombreuses années dans le programme européen de recherche sur la fusion nucléaire… Un mythe inaccessible ou une voie d’avenir dans laquelle il faut continuer à croire et investir ?
La recherche ouvre de nombreuses perspectives, y compris un bond en avant dans le domaine de la fusion nucléaire. C'est pourquoi nous sommes également ouverts à cette technologie. Bien que des réactions de fusion aient déjà été produites lors d'expériences, tous les concepts de réacteurs à fusion sont confrontés à de grands défis, notamment en termes de faisabilité technique.
À ce jour, il est impossible de prévoir avec certitude quand de nouvelles technologies deviendront réellement opérationnelles. Cela s’applique également à la fusion nucléaire.