« La surveillance nucléaire repose sur un principe d’amélioration continue »

Fin novembre, une expertise mandatée par la Fondation Énergie affirme que la centrale nucléaire de Gösgen serait affectée par une faille sécuritaire depuis sa mise en service, en 1979. Le point avec le professeur Andreas Pautz et le chercheur Mathieu Hursin, deux spécialiste actifs au LRS de l’EPFL.

« La surveillance nucléaire repose sur un principe d’amélioration continue »
Le professeur Andreas Pautz et le chercheur Mathieu Hursin, tous deux rattachés au Laboratoire de physique des réacteurs et des comportements de systèmes de l’EPFL.

Depuis plusieurs mois, plus aucune vapeur ne s’échappe de la tour de refroidissement de la centrale nucléaire de Gösgen. « Cela faisait une décennie qu’aucun photographe n’était venu ici, dans cette fabuleuse arène ronde. Un diamètre de 114 mètres, des parois circulaires qui s’élèvent en se resserrant avant de s’ouvrir de nouveau au sommet, à 150 mètres du sol », décrivait lors d'une visite des lieux le journaliste du quotidien « Le Temps », Richard Etienne.

La possibilité d’accéder au cœur de la centrale résulte toutefois d’une découverte fortuite réalisée en juillet. « Des risques de surcharge dans le réseau de canalisations d’eau d’alimentation, susceptibles de survenir en cas de rupture d’une conduite dans la zone non nucléaire de la centrale, ont été identifiés », indiquait l’exploitant de l’installation.

Nouveau bouleversement fin novembre : la Fondation Énergie (SES) présente une expertise affirmant que la centrale nucléaire de Gösgen serait affectée par cette faille depuis sa mise en service, en 1979. Selon Manfred Mertins, expert en sûreté nucléaire à la Haute École spécialisée de Brandebourg, alors que ce problème aurait été résolu depuis longtemps dans des centrales comparables, il continuerait de représenter des risques majeurs pour Gösgen, pouvant aller, en cas de séisme, jusqu’à provoquer des dommages au cœur du réacteur.

Naturellement, tant l’exploitant de Gösgen que l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) réfutent ces accusations. « Le problème des clapets anti-retour non amortis a été traité en 1998 et des améliorations ont été ordonnées. À l’époque, l’accent avait été mis sur le renforcement des supports de tuyauterie plutôt que sur l’amortissement des clapets. En 2003, cette mesure a été jugée suffisante et le dossier a été clos », peut-on lire dans le « Tages-Anzeiger ».

Dans cette bataille entre pro et anti-nucléaire, l’occasion est idéale pour revenir sur ce dossier et aborder la question sensible de la sécurité. Entretien avec le professeur Andreas Pautz et le chercheur Mathieu Hursin, tous deux rattachés au Laboratoire de physique des réacteurs et des comportements de systèmes de l’EPFL.

Comment réagissez-vous aux accusations portées contre la centrale de Gösgen ? La faille de sécurité dénoncée par la SES pouvait-elle réellement être présente depuis 1979 ?

À l’heure actuelle, il est encore trop tôt pour déterminer avec certitude depuis quand cette vulnérabilité existe. Les installations mises en service à la fin des années 1970 respectaient alors des normes de sûreté qui ont depuis considérablement évolué. Il n’est donc pas exclu qu’un élément technique jugé conforme à l’époque puisse apparaître problématique aujourd’hui, à la lumière des exigences actuelles. Cela nécessite une analyse approfondie que seule l’autorité de surveillance (IFSN) est en mesure de mener à bien.

Si cette faille existait depuis longtemps, pourquoi l’IFSN ne l’aurait-elle identifiée qu’en 2025 ?

Encore une fois, il faut rappeler que la surveillance nucléaire repose sur un principe d’amélioration continue. Les méthodes d’analyse évoluent, de nouveaux outils apparaissent et les connaissances scientifiques s’affinent. Il n’est donc pas rare que certaines vulnérabilités soient mises en évidence après plusieurs décennies d’exploitation — non pas en raison d’une négligence, mais parce que les critères d’évaluation et les technologies de contrôle gagnent constamment en précision. L’essentiel est que l’IFSN ait identifié ce problème et engagé immédiatement les mesures nécessaires.

La découverte tardive d’une faille ne signifie pas que la centrale était dangereuse, mais reflète avant tout l’évolution constante des standards de sûreté.

À quel point ce problème peut-il être dangereux pour une centrale comme Gösgen ?

À ce jour, rien n’indique que cette vulnérabilité ait mis en danger la centrale ou la population. Les centrales nucléaires suisses sont conçues selon le principe de la défense en profondeur, avec plusieurs barrières de protection et des systèmes redondants. Même si une faiblesse apparaît dans un domaine particulier, cela ne signifie pas pour autant qu’un risque aigu menace l’ensemble du site. L’évaluation complète permettra de déterminer l’ampleur réelle du problème et de définir les mesures correctives appropriées.

Est-il courant que des failles soient encore découvertes dans des centrales de 2ᵉ génération ?

Oui, cela peut arriver. Les centrales de deuxième génération ont été conçues sur la base des connaissances disponibles entre les années 1960 et 1980. Depuis, les normes internationales se sont considérablement renforcées et, grâce au retour d’expérience mondial ainsi qu’aux avancées majeures de la recherche en sûreté nucléaire, des scénarios jusque-là peu étudiés ont pu être identifiés.

La découverte tardive d’une faille ne signifie pas que la centrale était dangereuse, mais reflète avant tout l’évolution constante des standards de sûreté. Ces enseignements sont intégrés directement dans la conception des installations de troisième génération, où les « lessons learnt » tirées de tels événements sont implémentées.

L’avenir du nucléaire repose justement sur des centrales de 3ᵉ génération. Seront-elles plus sûres ?

Les centrales de troisième génération intègrent effectivement des dispositifs de sûreté dits « passifs », capables de fonctionner de manière largement autonome, ainsi que des marges de sûreté nettement plus élevées. Elles sont conçues pour résister à des événements extrêmes et pour réduire au minimum la nécessité d’interventions humaines en cas d’incident. Cela représente un progrès considérable en matière de sécurité nucléaire.

La transition vers un parc de centrales plus modernes se fera inévitablement et de manière progressive.

Sont-elles pour autant parfaitement sûres, et le problème principal n’est-il pas lié à leur coût exorbitant ?

L’énergie nucléaire repose sur une gestion extrêmement rigoureuse des risques, qui doivent être maintenus à un niveau aussi faible que possible. Les centrales de troisième génération offrent un niveau de sûreté supérieur, mais cette performance se traduit par une plus grande complexité technologique et, par conséquent, par des coûts élevés. Ces coûts constituent aujourd’hui l’un des principaux défis à leur déploiement, auxquels s’ajoutent la durée des projets et la question de l’acceptation sociétale.

On parle même de nucléaire de 4ᵉ génération…

Les centrales dites de quatrième génération visent à mieux valoriser les combustibles nucléaires afin de réduire le volume des déchets produits ou d’en raccourcir la durée de vie radiologique. Plusieurs concepts reposent sur l’utilisation de combustibles recyclés ou sur des systèmes capables de « brûler » une partie des éléments les plus problématiques des déchets actuels.

Ces technologies sont toutefois encore en développement et ne sont pas prêtes pour une application à grande échelle. Leur potentiel est réel, mais la prudence reste de mise quant aux délais d’introduction et leur maturité technique.

En matière de sûreté, les centrales de quatrième génération doivent au minimum atteindre le niveau offert par celles de troisième génération ; certaines technologies de génération IV pourraient même le dépasser largement.

Finalement, le principal souci du nucléaire ne réside-t-il pas dans le fait de rester encore longtemps dépendant de centrales à risque et, de surcroît, vieillissantes ?

Les centrales existantes ont été conçues pour fonctionner plusieurs décennies, mais leur exploitation à long terme nécessite des programmes rigoureux de maintenance et de modernisation, ainsi que, parfois, des décisions difficiles comme une mise à l’arrêt anticipée. Tant que leurs successeurs — qu’il s’agisse de nouvelles centrales nucléaires ou d’énergies renouvelables — ne sont pas encore disponibles, il demeure essentiel d’assurer une surveillance renforcée et de maintenir une culture de sûreté irréprochable. La transition vers un parc de centrales plus modernes se fera inévitablement et de manière progressive.

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