L'actualité en bref
Régulièrement, on vous regroupe le meilleur de l'information parue dans la presse suisse et internationale.
Entretien avec Ronny Kaufmann, directeur général de Swisspower, une alliance stratégique représentant 21 services industriels municipaux et entreprises régionales du secteur de l'approvisionnement en Suisse.
Le 20 décembre 2024, pour répondre à l’initiative populaire « De l’électricité pour tous en tout temps (Stop au blackout) », le Conseil fédéral dévoilait son propre contre-projet. En consultation jusqu'au 3 avril, le texte propose de modifier la loi sur l’énergie nucléaire afin de permettre à de nouvelles centrales d’être à nouveau approuvées en Suisse.
« L’objectif est de favoriser l’ouverture aux différentes technologies dans la politique énergétique de la Suisse, en incluant l’énergie nucléaire, et donc de créer une assurance en matière d’approvisionnement en électricité pour le cas où les énergies renouvelables ne pourraient pas être développées dans la mesure souhaitée, où il n’y aurait pas assez de progrès dans le stockage saisonnier de l’électricité et où il n’y aurait pas d’autres solutions respectueuses du climat pour garantir la production d’électricité », peut-on lire sur le site de la Confédération.
Depuis le début de l'année, les réactions ont été nombreuses et souvent opposées. Durant tout le mois de mars, nous avons fait le point sur les différentes opinions. On conclut cette série d'interviews avec Ronny Kaufmann, directeur général de Swisspower, une alliance alliance stratégique représentant 21 services industriels municipaux et entreprises régionales du secteur de l'approvisionnement en Suisse. Entretien.
Quelle est votre position et opinion sur l’idée de relancer la filière nucléaire en Suisse ?
Nous sommes clairement opposés à l'initiative Blackout ainsi qu'au contre-projet indirect du Conseil fédéral. Alors que la Suisse est à un tournant en termes de politique énergétique : ce débat arrive au mauvais moment et ne fait que brouiller les enjeux actuels.
Le profil de production de l’énergie nucléaire s’accorde de moins en moins avec les besoins d’un système électrique décentralisé et flexible.
Compte tenu du processus législatif, suivi d’éventuelles procédures d’autorisation et de construction, de nouvelles centrales ne constituent ni à court ni à moyen terme une solution pertinente pour garantir la sécurité d’approvisionnement ou pour décarboner le système énergétique suisse. Elles restent en plus grevées de problèmes non résolus : gestion des déchets radioactifs, coûts élevés, concurrence potentielle avec le développement des énergies renouvelables et dépendances géopolitiques.
Par ailleurs, le profil de production de l’énergie nucléaire s’accorde de moins en moins avec les besoins d’un système électrique décentralisé et flexible. Dans le contexte actuel, la Suisse produira suffisamment d’électricité renouvelable en été, mais continuera de souffrir d’un déficit durant l’hiver.
Notre pays a donc besoin de mesures ciblées pour transférer l'excédent d'électricité d'une saison à l'autre via des accumulateurs saisonniers, tout en augmentant la capacité de production d'électricité renouvelable durant les mois d'hiver.
L'objectif doit donc être de compenser ces déséquilibres prévisibles par une approche globale. Le couplage sectoriel constitue un levier central : l’électricité, la chaleur et le gaz peuvent se compléter efficacement, à condition de disposer de cadres réglementaires innovants et adaptés. C’est à ce prix qu’un approvisionnement énergétique renouvelable et sûr pourra être garanti en tout temps.
La démarche proposée par le Conseil fédéral ne fait donc guère plus que saper la confiance dans les énergies renouvelables et la sécurité de planification indispensable aux acteurs du secteur – sans apporter de réelle valeur ajoutée à l’approvisionnement énergétique du pays.
En cas de réouverture de cette porte en Suisse, sur quel type d'énergie nucléaire devrait-on miser : de nouveaux grands réacteurs ou de petits réacteurs modulaires de type SMR ou AMR ?
À nouveau, de nouvelles centrales nucléaires avec leur production d'électricité constante tout au long de l'année n'apporteront pas de solution aux besoins actuels, mais aggraveront la surproduction en été et ne seront pas rentables dans un contexte de forte volatilité des prix de l’électricité.
Ce dont la Suisse a besoin, ce n’est pas de davantage d’énergie en ruban, mais d’une production électrique flexible, alignée sur les profils de consommation et de production prévisibles d’une économie énergétique de plus en plus décentralisée.
Suivant cette logique, le type de centrale n'a pas d'importance aujourd'hui.
La démarche proposée par le Conseil fédéral ne fait donc guère plus que saper la confiance dans les énergies renouvelables et la sécurité de planification indispensable aux acteurs du secteur – sans apporter de réelle valeur ajoutée à l’approvisionnement énergétique du pays.
En Suisse, dispose-t-on des capacités techniques et d'un nombre d'experts suffisants pour avoir de nouvelles ambitions dans le nucléaire et cela dans des délais raisonnables ?
La Suisse dispose, au sein des EPF, d'excellents instituts de recherche. Il est d'ailleurs important de préciser que l'interdiction des autorisations-cadres pour les centrales nucléaires selon l'art. 12a LENu n'est pas une interdiction technologique. La recherche nucléaire reste autorisée selon l'art. 86 LENu, de même que sa promotion par la Confédération.
Cela permet l'exploitation et la construction de réacteurs de recherche ainsi que le développement de nouvelles technologies qui complètent la Stratégie énergétique 2050. Un exemple actuel est la collaboration entre le PSI et Copenhagen Atomics pour la construction d'un réacteur à sels fondus qui, à partir de 2026, devrait soutenir la validation de nouvelles technologies de réacteurs.
La Suisse soutient financièrement ses instituts de recherche pour remplir des engagements internationaux comme auprès d'ITER et de l'AIEA. Les dépenses de recherche suisses dans le domaine nucléaire sont stables.
En cas de relance du nucléaire, ne faudrait-il pas craindre une réduction des investissements dans les autres sources d’énergies renouvelables ?
Des exemples à l’international, ainsi que les déclarations des grands groupes énergétiques suisses, montrent qu’aucun projet de nouvelle centrale nucléaire n’est réalisable sans un soutien massif de l’État. Ces projets se chiffrent en plusieurs milliards et dépendent de subventions massives.
Le débat actuel sur les finances fédérales illustre à quel point les programmes de soutien peuvent être rapidement remis en cause – comme en témoigne la suppression du programme P+D. En outre, des cercles politiques ont déjà demandé que les nouvelles centrales nucléaires en Suisse soient financées par le fonds de supplément réseau.
Si l'on ne veut pas augmenter ce fonds, Cela entraînerait deux conséquences possibles : soit une augmentation du supplément réseau, soit un détournement des subventions des énergies renouvelables vers de nouvelles centrales nucléaires.
Si l'on ne veut pas augmenter ce fonds, Cela entraînerait deux conséquences possibles : soit une augmentation du supplément réseau, soit un détournement des subventions des énergies renouvelables vers de nouvelles centrales nucléaires. Comme l'ont montré les récents débats au Parlement sur les coûts de réseau, la première option n'est pas politiquement viable. La seconde irait à l’encontre des décisions démocratiques prises par le peuple.
La levée de l’interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires enverrait donc un signal négatif – à la fois pour la transition énergétique et pour la confiance dans la stabilité de la politique énergétique fédérale.
Enfin, la Suisse participe et investit depuis de nombreuses années dans le programme européen de recherche sur la fusion nucléaire… Un mythe inaccessible ou une voie d’avenir dans laquelle il faut continuer à croire et investir ?
La Suisse a tout intérêt à participer à ces projets, en s’appuyant sur ses instituts de recherche de renommée internationale. La recherche scientifique repose sur un principe fondamental : il arrive qu’on ne trouve pas. Mais notre pays dispose des ressources, des compétences et des talents nécessaires pour apporter une contribution précieuse – dans ce domaine comme dans bien d’autres.