La Suisse fait face au pari incertain de l’hydrogène vert
Dans son rapport publié à la mi-décembre 2024, la Confédération a tenté d’anticiper l’avenir de ce vecteur énergétique. Un exercice difficile, vu le manque flagrant de marché en Suisse.
Après avoir lu le roman d'anticipation de Kim Stanley Robinson, Adèle Thorens Goumaz en est convaincue : « Nous n’avons pas seulement besoin de solutions technologiques, mais aussi de nouveaux récits, de nouveaux imaginaires qui nous motivent à prendre des décisions responsables. »
En tant que politicienne, j’ai souvent été confrontée à l’inaction en matière climatique. C’est une réalité que je n’ai jamais pu accepter ni expliquer. Comment les êtres humains peuvent-ils continuer à détruire, systématiquement et en toute conscience, leur propre milieu de vie ? Comment peuvent-ils refuser d’agir pour protéger l’avenir de ceux qu’ils aiment le plus au monde, à savoir leurs propres enfants ?
Cette inertie est d’autant plus incompréhensible que nous disposons des solutions technologiques nécessaires et que nous avons tous une marge de manœuvre. Chaque jour, nous prenons des décisions qui peuvent contribuer à assurer à nos enfants un cadre de vie agréable ou les plonger dans un monde que le changement climatique rendra ingérable. Le fait que nous prenions si souvent, et en toute conscience, des décisions qui vont à l’encontre de notre propre intérêt et, souvent, de nos propres valeurs, défie la pensée rationnelle. Mais peut-être faut-il justement interroger cette rationalité, si chère aux éthiciens.
Le philosophe Hans Jonas considère que le pouvoir, ainsi que le savoir, définissent l’ampleur de notre responsabilité, et l’érigent en devoir : si tu as le pouvoir de nuire, et que tu connais les conséquences négatives, voire catastrophiques, de ton action, alors tu as le devoir d’agir de manière responsable. Ce principe est d’autant plus valable lorsque nous avons la possibilité d’agir autrement. Son caractère automatique est cependant emblématique du biais de rationalité dont souffrent la plupart des éthiciens.
Il consiste à considérer qu’un jugement moral convaincant implique forcément une motivation à le respecter. L’expérience montre malheureusement qu’il n’en est rien. Dieter Birnbacher, un autre philosophe éthicien spécialiste de la crise environnementale, le constate : « Avoir des raisons morales pour agir et être effectivement motivé à agir sont deux éléments distincts, si bien qu’un mécanisme psychologique indépendant de l’acceptation de la règle morale est nécessaire pour que l’action soit conforme à cette dernière. » [1]
Le fait que nous prenions si souvent, et en toute conscience, des décisions qui vont à l’encontre de notre propre intérêt et, souvent, de nos propres valeurs, défie la pensée rationnelle.
Et si la fiction pouvait aider à déclencher ce mécanisme psychologique ? J’ai lu récemment le roman d'anticipation de Kim Stanley Robinson, « Le Ministère du futur ». Si vous ne l’avez pas encore lu, faites-le. Il raconte l’engagement d’une nouvelle organisation internationale, créée en 2025 à Zurich, pour défendre les intérêts de nos descendants et nous empêcher de détruire leur milieu de vie.
Construit comme une suite de témoignages, le roman décrit les impacts du changement climatique dans les décennies à venir et la manière dont les scientifiques et les décideurs s’organisent pour y faire face. Il débute par une terrible canicule, qui cause vingt millions de morts en Inde, et se termine sur une note d’espoir, alors que l’humanité parvient progressivement à s’engager dans l’abandon des énergies fossiles.
Une des grandes qualités du roman est de rendre des thèmes complexes et techniques accessibles. Il met en lumière les difficultés à mobiliser des solutions de géo-ingénierie dont les impacts sont encore mal connus, mais dont nous avons désespérément besoin après avoir tardé à agir à la source pour réduire nos émissions. Il aborde les enjeux d’une gouvernance mondiale, indispensable à une action équitable et coordonnée, ainsi que le rôle des pays en développement, qu’il met à l’honneur.
Le roman pose aussi la question de l’efficacité des voies institutionnelles face à une crise vitale. Parviendrons-nous à maintenir nos processus démocratiques lorsque les catastrophes climatiques se multiplieront et causeront la mort de centaines de milliers, voire de millions de personnes ? Saurons-nous mener la transition de manière non violente ? Pourrons-nous éviter que des groupes ne se radicalisent et sombrent dans l’écoterrorisme, ou que des États ne cèdent à des mesures autoritaires ? Comment gérerons-nous les vastes mouvements migratoires engendrés par des canicules mortelles dans les régions où le climat est déjà chaud et humide ?
Sérieusement documenté, « Le Ministère du futur » affronte ces questions douloureuses, mais décrit aussi une humanité qui, malgré les obstacles, parvient à se prendre en main et à mettre en place des solutions viables. Il trace un chemin, imaginaire mais néanmoins réaliste, vers ce que nous pouvons raisonnablement espérer.
La crise climatique témoigne de notre difficulté à nous projeter vers l’avenir et à accepter le changement. Nous n’avons pas seulement besoin de solutions technologiques, mais aussi de nouveaux narratifs, de nouveaux imaginaires qui nous motivent à prendre des décisions responsables, en nous aidant à envisager des lendemains désirables. Évidemment, comme le souligne Kim Stanley Robinson, l’utopie évoquée par « Le Ministère du futur » est assez minimaliste, puisqu’elle consiste simplement à ce que l’humanité renonce à s’autodétruire. Mais, en ce début d’année, Dieu sait combien nous avons besoin d’une telle utopie.
[1] Birnbacher, D. (2009). What Motivates Us to Care for the (Distant) Future? Gosseries, Axel et Lukas H. Meyer, (dir.), Intergenerational Justice, Oxford University Press.