« Les oppositions à l'éolien ne reflètent pas nécessairement l’opinion majoritaire en Suisse »
Entretien avec Nadine Brauchli, responsable Énergie à l’Association des entreprises électriques suisses (AES).
Entretien avec Nadine Brauchli, responsable Énergie à l’Association des entreprises électriques suisses (AES).
À la fin du mois de septembre, La Chancellerie fédérale annonçait que les initiatives populaires fédérales « Contre la destruction de nos forêts par des éoliennes (initiative pour la protection des forêts) » et « Pour la protection de la démocratie directe par rapport aux parcs éoliens (initiative pour la protection des communes) », ont formellement abouti.
Déposés le 25 juillet 2025, les deux textes visent à encadrer de manière plus stricte encore le développement des installations éoliennes en Suisse. Estimant que l’implantation de grands parcs éoliens menace la nature, la première initiative demande que les éoliennes ne puissent être installées ni dans les forêts ni sur les pâturages boisés. La seconde initiative, pour sa part, souhaite élargir la participation démocratique en prévoyant qu’un vote obligatoire ait lieu non seulement dans la commune accueillant une installation, mais aussi dans toutes les communes directement impactées par un projet éolien.
Dans un pays où l’énergie éolienne peine encore à s’imposer — la Suisse ne compte actuellement que 47 éoliennes en activité, contre plus de 1 400 en Autriche — les obstacles se multiplient. Les nouveaux textes pourraient même renforcer ces blocages. Dès lors, peut-on encore croire à un avenir pour l’éolien suisse ?
La question mérite d’autant plus d’être posée que, dans sa stratégie énergétique, la Confédération table sur environ un millier d’éoliennes installées et opérationnelles d’ici 2050.
Face aux enjeux majeurs qui entourent cette source d’énergie renouvelable, nous ouvrons une nouvelle série d’entretiens consacrée à la question éolienne en Suisse. Pour débuter, nous donnons la parole à Nadine Brauchli, responsable Énergie à l’Association des entreprises électriques suisses (AES).
À la lumière du dépôt réussi des deux dernières initiatives consacrées à l’éolien, une première question s’impose : cette source d’énergie a-t-elle réellement un avenir en Suisse ?
Premièrement, il est important de rappeler que le dépôt d’initiatives populaires ne signifie pas qu'elles seront acceptées par le peuple et les cantons. L’Association des entreprises électriques suisses (AES) appelle en tout cas clairement au rejet de ces deux textes, qu’elle qualifie d’extrêmes.
Selon nous, l’initiative pour la protection des communes et celle pour la protection des forêts mettent en péril la sécurité d’approvisionnement de la Suisse ainsi que les objectifs de la loi sur l’électricité en matière de développement des énergies renouvelables. L’éolien fait en effet partie des énergies à développer pour atteindre nos engagements climatiques et garantir une production locale, propre et durable.
Comment expliquer un tel élan anti-éolien dans notre pays?
En Suisse, il suffit souvent qu’un particulier ou qu’une association s’oppose à un projet pour que celui-ci soit ralenti, voire complètement bloqué. Cette capacité d’opposition, bien que parfaitement démocratique, ne reflète toutefois pas nécessairement l’opinion majoritaire. En témoigne le vote populaire de l’année dernière par lequel la population et les cantons ont clairement approuvé le projet pour un approvisionnement en électricité sûr, ouvrant ainsi la voie au développement des énergies renouvelables, y compris l’éolien.
Cette orientation a été confirmée lors de la dernière session d’automne, avec l’adoption quasi unanime par le Parlement du projet de loi pour l’accélération des procédures. Par ailleurs, le sondage réalisé cette année par l’AES, en collaboration avec l’institut gfs.bern, est sans équivoque : pour la population suisse, la promotion des énergies renouvelables reste le pilier d’une politique énergétique crédible, durable et tournée vers l’avenir.
La Suisse a besoin de davantage d’électricité, en particulier durant l’hiver, et l’énergie éolienne peut apporter une réponse efficace à cette demande.
La Suisse vise l’installation d’environ 1 000 éoliennes d’ici 2050 dans le cadre de son mix énergétique. Mais au regard du contexte actuel, ce chiffre ne paraît-il pas hors d’atteinte ?
Il est vrai que les objectifs intermédiaires fixés par la Confédération — soit 2,3 TWh d’ici 2030, correspondant à environ 300 éoliennes — apparaissent aujourd’hui très ambitieux. À ce jour, la Suisse ne compte qu’une cinquantaine d’éoliennes en service, et le suivi réalisé par l’AES indique qu’il sera quasiment impossible d’atteindre ce palier dans les délais impartis.
Cela dit, l’horizon 2050 laisse encore un peu de temps pour mobiliser les acteurs concernés, optimiser les procédures et renforcer l'acceptation locale. À nouveau, le projet de loi récemment adopté sur l’accélération des procédures constitue un levier essentiel pour faciliter le développement des projets.
L’AES est en effet convaincue que la rationalisation des procédures représente une avancée décisive pour le développement des grandes installations renouvelables, y compris dans le domaine de l’énergie éolienne. Cette nouvelle loi permettra de réduire les délais d’autorisation et de recours, tout en améliorant la coordination entre les différentes autorités impliquées.
Rappelons que l’énergie éolienne occupe un rôle stratégique dans l’approvisionnement hivernal du pays : environ deux tiers de sa production sont générés durant les mois d’hiver, contribuant ainsi à combler le déficit saisonnier. Selon l’étude « Avenir énergétique 2050 » menée par l’AES, l’éolien participe activement à la sécurité d’approvisionnement tout en maintenant les coûts du système à un niveau bas.
Ne vaudrait-il pas mieux aller financer des projets éoliens à l’étranger, où les procédures rencontrent moins d’obstacles, quitte à importer ensuite cette énergie en Suisse ?
La Suisse est responsable de sa propre sécurité d’approvisionnement, et le secteur de l’électricité joue un rôle central à cet égard. Si des investissements suisses dans des installations de production à l’étranger peuvent bénéficier au marché européen, — et, de manière indirecte, à la Suisse —, ils ne garantissent pas une importation ciblée vers notre pays. Ce qui est importé, c’est uniquement le mix électrique disponible chez ses voisins au moment de l’importation.
En outre, en l’absence d’un accord sur l’électricité avec l’Union européenne, les capacités d’importation peuvent être temporairement limitées par la règle des 70 %, rendant l’accès à l’énergie étrangère incertain, voire impossible dans certaines situations. C’est pourquoi il demeure primordial de développer des capacités de production renouvelable sur le territoire national.
Comment relancer la question éolienne en Suisse ? Comment surmonter les fameux syndromes « NYMBY » (Not In My Backyard) et « BANANA » (Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anything) ?
La Suisse a besoin de davantage d’électricité, en particulier durant l’hiver, et l’énergie éolienne peut apporter une réponse efficace à cette demande. Cependant, si les projets continuent d’être bloqués ou retardés, le pays devra se tourner vers d’autres alternatives, telles que les centrales à gaz ou de l’énergie nucléaire. En définitive, c’est bien la volonté politique et sociale qui déterminera quelles technologies seront privilégiées pour garantir l’approvisionnement électrique de la Suisse.