« Soyons francs : atteindre une neutralité carbone totale dans l’hôtellerie… c’est illusoire »

Entretien avec David Delarive, CEO de Delarive Groupe.

« Soyons francs : atteindre une neutralité carbone totale dans l’hôtellerie… c’est illusoire »
David Delarive, CEO de Delarive Groupe.

Fin 2024, une étude publiée dans « Nature Communications » montrait que, à lui seul, le secteur touristique était en 2019 responsable de 8,8 % du réchauffement climatique d’origine anthropique.

Après la brève parenthèse du Covid, selon le Conseil mondial du voyage et du tourisme (WTTC), la contribution du voyage et du tourisme aux émissions totales de gaz à effet de serre dans le monde atteignait encore 6,5 % en 2023. Dans un monde contraint de se décarboner au plus vite, le tourisme aura donc clairement un rôle à jouer.

Mais comment évoluent les mentalités tant au sein de la population suisse que de l'industrie touristique mondiale ? Nous bouclons cette série avec un acteur local du tourisme : Definitely Different. Cette entité du groupe Delarive est active depuis près de vingt ans dans ce que l’on appelle aujourd’hui le tourisme durable, ou écotourisme, notamment avec son concept « Whitepod » en Valais. Entretien avec David Delarive, CEO du groupe éponyme.

Pourquoi avoir voulu, dès les débuts de vos activités, intégré cette notion d'écotourisme dans vos activités ?

Disons que ce n’était pas un choix stratégique au départ, mais plutôt une sensibilité naturelle et une réaction logique à notre environnement. Lorsqu’on s’installe sur un site comme celui de « Whitepod », en pleine nature, on comprend très vite qu’il faut agir avec cohérence et respect. L’écotourisme s’est imposé non pas comme une posture, mais comme une évidence. Aujourd’hui, bien sûr, nous structurons de plus en plus cette démarche. Mais à l’origine, il s’agissait d’un alignement entre le lieu, les valeurs et l’intuition — pas d’un positionnement de communication.

Notre véritable défi est de trouver un équilibre entre l’engagement écologique et la satisfaction du client. C’est un ajustement constant, et parfois délicat.

Très concrètement, peut-on vraiment décarboner les activités hôtelières, et si oui, de quelle manière ?

Oui, on peut — et on doit — chercher à décarboner l’hôtellerie. Mais restons lucides : si l’on considère l’ensemble de la chaîne de valeur — construction, trajets des clients, approvisionnement, alimentation, entretien — le tourisme reste une activité à impact négatif sur le plan environnemental. Cela ne signifie pas qu’il faut baisser les bras, bien au contraire. Il faut faire mieux, avec un peu de technologie, beaucoup de bon sens et une bonne dose d’honnêteté.

Un exemple simple : lorsque vous marchez en montagne et apercevez un morceau de plastique au bord du chemin, le ramassez-vous ? Beaucoup répondraient « oui », mais la réalité observée sur les sentiers raconte autre chose. Le changement commence là !

De notre côté, nous agissons de manière concrète. Cela passe par des constructions légères, réversibles et réalisées avec des matériaux durables. Nous recourons également aux énergies renouvelables et optimisons notre consommation grâce, notamment, aux dernières innovations technologiques. Nous réduisons nos déchets et encourageons l’écomobilité. Enfin, nous proposons une cuisine locale, de saison et à faible impact. Mais au-delà de ces actions, rien ne remplace une véritable culture du respect et une responsabilité partagée entre l’hôtelier et le voyageur.

Que pourriez-vous faire en plus ? La neutralité carbone est-elle atteignable dans le tourisme ?

Soyons francs : atteindre une neutralité carbone totale dans l’hôtellerie… c’est illusoire, sauf à vivre dans une civilisation de l’interdit. Pas de voyages, pas de business, pas d’électricité, une maison construite de ses propres mains, en autarcie absolue — et encore, rien ne garantit que ce soit réellement neutre.

Alors non, nous ne serons jamais « parfaits », mais ce n’est pas une raison pour ne rien faire. Personnellement, je crois davantage à une approche régénérative, trop souvent oubliée dans les calculs : qu’est-ce que l’on crée de positif, qui n’existait pas auparavant ? A-t-on restauré un écosystème ? Transmis une conscience écologique ? Soutenu une filière locale ?

Je pense que le tourisme suisse, comme beaucoup d’autres industries, est en retard par rapport aux tendances internationales. Il y a ce dicton qui dit que « tout arrive dix ans plus tard en Suisse », et ce n’est pas complètement faux.

Durabilité et luxe sont-ils indissociables de l’écotourisme aujourd’hui ?

Oui, et c’est une évolution marquante. Le luxe, aujourd’hui, ce n’est plus l’ostentation ni la surabondance : c’est le temps, le calme, l’espace, la nature — une simplicité maîtrisée. Un hébergement peut être à la fois très confortable, élégant et responsable. Il ne s’agit pas de proposer moins, mais autrement : avec conscience, finesse et une attention particulière aux détails. C’est cela, pour nous, le nouveau luxe. Et il s’inscrit naturellement dans une logique d’écotourisme exigeant.

Ce mot « écotourisme » n’est-il pas utilisé de manière abusive aujourd’hui ?

Hélas, oui. Le terme est devenu un argument commercial, parfois vidé de tout contenu réel. Il suffit de deux plantes vertes et de trois panneaux en bois pour se revendiquer « écolo »… Le greenwashing fragilise ceux qui agissent sérieusement. Il faut donc exiger plus d’honnêteté et de rigueur dans la manière dont on parle d’écologie dans le tourisme.

Aujourd’hui le tourisme mondial génère 8,8% des émissions mondiales de carbone… Comment réduire ce bilan selon vous ?

Trois postes dominent, sauf erreur, les émissions : le transport — surtout aérien —, l’hébergement et l’alimentation. Pour réduire ce bilan, il faut combiner deux approches.

D’un côté, changer le modèle, soit ralentir, favoriser le tourisme de proximité, allonger les séjours, réhabiliter plutôt que construire ou encore proposer des expériences plus sobres. Et de l’autre, il faut innover, ce qui sous-entend notamment de développer des moyens de transport plus propres, d'optimiser la gestion énergétique, de supprimer les bains, de limiter les plastiques, de privilégier le local et d'éviter le gaspillage...

Mais soyons honnêtes : comme beaucoup, j’aime aussi passer un week-end à Ibiza ou à Londres, et prendre un bain à l’hôtel. D’un point de vue carbone, c’est difficile à défendre. Et pourtant… ça fait du bien. C’est là toute la complexité : trouver un équilibre entre conscience environnementale et besoins humains. Le but n’est pas d’être parfait, mais de faire au mieux.

Aéroports stressants, sites touristiques bondés, longs vols… Peut-on encore parler de plaisir en parlant du voyage ?

Même avec ses contraintes, le voyage reste une bouffée d’oxygène mentale, un moment de lâcher-prise dans un monde hyperconnecté. Et je ne vais pas mentir : j’ai vécu des expériences de voyage franchement catastrophiques — des galères de transport, des retards, des hôtels improbables… parfois qui n’était même pas construit.

Mais ces moments-là créent souvent des souvenirs uniques, parfois même inoubliables. C’est peut-être ça, le cœur du plaisir du voyage : ce n’est pas l’absence de difficultés, mais la capacité à les traverser et à en tirer quelque chose. Finalement, ce sont souvent les imperfections qui rendent l’expérience humaine, réelle et marquante.

Le tourisme local, les circuits courts et la redécouverte de son propre territoire sont en forte progression, ce qui est une bonne chose.

L’avenir du tourisme sera-t-il plus local, comme dans l’alimentation ?

Oui, et on le voit déjà. Le tourisme local, les circuits courts et la redécouverte de son propre territoire sont en forte progression, ce qui est une bonne chose. Mais dans l’hospitalité, il faut aussi rester lucide : la notion de « client roi » reste au cœur de l’expérience. Et parfois, le Coca-Cola local ne passe pas… Alors, est-ce qu’on assume une approche qui pourrait frustrer, est-ce qu’on offre des alternatives, ou est-ce qu’on fait plaisir au client à tout prix ?

Nous restons souvent accrochés aux commentaires négatifs sur les plateformes, très souvent liés à une frustration née du décalage entre l’attente du voyageur — justifiée ou non — et la réalité de l’offre. Et cette frustration ne vient pas toujours d’un manque de qualité, mais parfois simplement du fait qu’on propose une logique différente de celle attendue.

Le véritable défi est là : trouver un équilibre entre l’engagement écologique et la satisfaction du client. C’est un ajustement constant, et parfois délicat.

Enfin, quelle analyse portez-vous plus spécifiquement sur le touriste suisse? Est-ce que l’écologie fait partie de ses préoccupations premières au moment de préparer ses prochaines vacances ?

Je pense que le tourisme suisse, comme beaucoup d’autres industries, est en retard par rapport aux tendances internationales. Il y a ce dicton qui dit que « tout arrive dix ans plus tard en Suisse », et ce n’est pas complètement faux. Nous avons aussi cette habitude bien ancrée du confort. Dès qu’on demande au client d’utiliser un shampoing solide, une douche à débit réduit ou de ne pas changer les draps tous les jours, cela devient compliqué à faire accepter sans générer de frustration.

Mais malgré cela, une nouvelle génération émerge : plus ouverte, plus curieuse, plus consciente. Et c’est là que j’y crois vraiment. On n’a pas besoin de tout révolutionner : parfois, il suffit simplement de revenir au bon sens, d’accepter le changement non pas par contrainte, mais par curiosité, et d’oser essayer autre chose. C’est peut-être ça, au fond, le plus bel acte de tourisme durable.

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