SwissPowerShift : Avenir et fêtes de fin d'année
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Le réseau ferroviaire peut jouer un rôle important à l’heure où les réseaux électriques doivent être renforcés pour atteindre les objectifs de la Stratégie énergétique 2050.
Nous reproduisons ici la synthèse d'une étude menée par la HES-SO et publiée fin septembre dans la revue « Bulletin.ch » d'Electrosuisse.
Lorsque l’on évoque les transports ferroviaires en Suisse, le voyageur pense immédiatement à la grande offre en matière de destinations, à la ponctualité des trains ainsi qu’à un moyen de transport à faible impact carbone. Ceci est rendu possible grâce à une exploitation efficiente, à un matériel roulant sobre en énergie et à une infrastructure électrique spécifique. Du point de vue technique, cette infrastructure électrique – appelée également circuit de traction – est composée de sous-stations de transformation, de lignes de contact (aussi appelées caténaires), de réseaux de transport et de distribution d’électricité, ainsi que de moyens de production d’électricité (figure 1).
Cette infrastructure est soumise à diverses contraintes. Elle doit premièrement être en mesure d’alimenter les trains, dont la puissance peut atteindre quelques mégawatts au moment de l’accélération: elle est donc dimensionnée de façon à supporter les importants appels de puissance intermittente générés par le trafic ferroviaire sur la ligne. Une deuxième contrainte technique est liée au déplacement des trains sur la voie, ce qui entraîne un éloignement entre la charge et la source d’énergie (sous-station). Cet allongement du circuit de traction se traduit par une augmentation de la résistivité électrique, ce qui a pour conséquence directe d’augmenter la chute de tension et d’induire d’importantes baisses de tension au niveau du pantographe du train.
Ces deux contraintes techniques ont conduit au développement et à la considération de normes électriques spécifiques au réseau électrique ferroviaire. Celles-ci tolèrent des variations de tension sur la caténaire de l’ordre de ±30% de la valeur nominale de la tension (tableau 1). En comparaison avec les variations de ±10% admises sur un réseau électrique conventionnel, le réseau ferroviaire supporte des fluctuations de puissance, et donc de tension, beaucoup plus importantes.
Si l’on considère maintenant les surfaces des emprises ferroviaires – dont les 5200 km de voies et les pôles de transport multimodaux aux abords des gares –, la Suisse dispose déjà d’une infrastructure électrique prête à contribuer à la transition énergétique. Cet article propose d’utiliser des microgrids (ou microréseaux) ferroviaires pour permettre d’intégrer au réseau électrique ferroviaire des installations photovoltaïques (PV) linéaires ainsi que des points de recharge pour les véhicules et bus électriques. Un cas d’application basé sur une ligne en courant continu de type 750 V avec un réglage des sous-stations à vide à 850 V (pour répondre aux contraintes d’exploitation) a été étudié, ce qui a permis de déterminer, d’une part, l’impact énergétique des installations PV sur la consommation du réseau ferroviaire et, d’autre part, les avantages liés à l’intégration de bornes de recharge pour véhicules électriques (VE) aux abords des gares.
Un microgrid ferroviaire est défini comme étant une extension du réseau électrique ferroviaire permettant de fournir de nouveaux services énergétiques. L’intégration d’un microgrid en emprise ferroviaire repose sur l’utilisation de la caténaire en tant que système de distribution d’énergie.
Comme évoqué plus haut, la caténaire subit de fortes variations de tension liées au déplacement des trains. Or, à la différence des trains, les systèmes conventionnels de production et/ou de stockage d’énergie, les bornes de recharge, ou toute autre charge d’ailleurs, sont prévus pour fonctionner à partir d’une source de tension stable. Le premier point technique de cette connexion à la caténaire repose donc sur l’utilisation d’un convertisseur spécifique qui stabilisera la tension d’un bus DC, comme illustré à la figure 2. Cette architecture correspond en tout point à un microgrid dont la spécificité est de permettre les flux d’énergie entre les producteurs et consommateurs d’électricité usuels et le circuit de traction.
Un deuxième point technique est lié aux principes de protection électrique tels que spécifiés dans les normes ferroviaires. Le principe de base repose sur la détection de défauts de court-circuit sur la ligne par la sous-station la plus proche. Cette dernière a alors la charge d’isoler le défaut, puis d’isoler automatiquement les sous-stations avoisinantes afin d’empêcher un réarmement du défaut. Dans la mesure où la sécurité doit rester garantie, le convertisseur de connexion du microgrid ferroviaire à la caténaire doit être intégré dans le schéma de protection de la ligne de manière similaire à l’installation d’une nouvelle sous-station. Pour les défauts survenant du côté du microgrid ferroviaire, il est possible de spécifier une protection par isolation galvanique directement intégrée dans le convertisseur.
Enfin, le troisième point technique repose sur le contrôle des flux d’énergie entre les microgrids ferroviaires interconnectés par la caténaire. Ce contrôle repose sur un système de gestion de l’énergie (energy management system, EMS) permettant de répondre aux exigences des différents services valorisables tels que:
Si ces services sont en pleine cohérence avec le contexte énergétique, la justification du microgrid ferroviaire selon les critères économiques, environnementaux et sociétaux repose sur la valorisation des actifs fonciers et de l’infrastructure ferroviaire pour contribuer à l’intégration d’une production énergétique renouvelable et locale. Du point de vue de l’efficience énergétique, les microgrids ferroviaires contribuent également à la valorisation de l’énergie de freinage des trains, en alimentant les véhicules électriques stationnés aux abords des gares.
Dans l’objectif de développer ce concept de microgrid ferroviaire, l’équipe Smart Grid de l’Institut Énergie et Environnement (IEE) de la HES-SO Valais développe des outils de simulation et de gestion de l’énergie, dont les résultats sont présentés ci-après.
La valorisation des emprises ferroviaires repose sur une architecture d’installation photovoltaïque linéaire, c’est-à-dire sur des panneaux PV montés les uns à côté des autres sur une grande distance en bordure de voie ou entre les rails (solution Sun-Ways). Si les architectures actuelles des installations PV répondent parfaitement aux besoins des applications conventionnelles, il convient de noter qu’elles ne permettent pas de respecter les normes liées aux centrales photovoltaïques dans le cadre d’une installation PV linéaire d’une longueur supérieure à 1 km. Les problématiques reposent sur les éléments suivants:
Pour répondre à ces différentes contraintes, une comparaison des différentes associations possibles a conduit à retenir une architecture centrale avec un bus DC à 1,5 kV (tableau 2). Ce choix de tension est lié à l’objectif consistant à couvrir une distance de 5 km avec un point d’injection au milieu (figure 3), c’est-à-dire avec deux départs d’une longueur de 2,5 km. Dans la perspective d’allonger les distances tout en respectant la norme, il convient d’étudier l’utilisation de bus DC à 3 kV (2 x 1,5 kV) voire à 6 kV (2 x 3 kV).
Sur la base de cette architecture, un cas d’application a été identifié entre les gares de Martigny et de Vernayaz, sur la ligne du Mont-Blanc Express exploitée par les TMR. Ce choix s’explique par:
Au-delà de cette portion, une étude plus spécifique de l’irradiance solaire doit être menée pour tenir compte de la production et de la possibilité d’intégration entre les rails et/ou en bordure de voie.
Pour le cas d’application retenu, les résultats obtenus en se basant sur une irradiance de 800 W/m2 indiquent une réduction de 400 kW de la puissance soutirée à la sous-station de Vernayaz. De plus, en l’absence du système de stockage de la sous-station réversible de Vernayaz, une partie de l’énergie de freinage des trains et de la production photovoltaïque est refoulée sur le réseau. Ce constat justifie d’intégrer des bornes de recharge dans les gares de la ligne, toujours dans une démarche de microgrid ferroviaire.
L’objectif de cette fonction du microgrid ferroviaire consiste, dans un premier temps, à maximiser la récupération de l’énergie de freinage des trains en l’utilisant pour la recharge de véhicules électriques stationnés près des gares de la ligne du Mont-Blanc Express (voir déclivité de la ligne dans la figure 4). Dans ce cas d’étude, des microgrids ferroviaires sont déployés au niveau des gares de Martigny, Le Trétien et Le Châtelard-Frontière (figure 4). L’utilisation de bornes de recharge publiques permet l’implémentation des fonctions V1G (recharge intelligente en fonction de l’énergie disponible) et V2G (vehicle-to-grid, recharge bidirectionnelle).
Afin de garantir l’exploitation de la ligne ferroviaire – les trains ralentissent en effet automatiquement si la tension de la caténaire est trop basse –, le plan de tension a fait l’objet d’une analyse. Cette condition est nécessaire pour valider la faisabilité technique de ce type de microgrid ferroviaire, dans la mesure où ce dernier augmente la charge sur la caténaire.
L’objectif consiste à gérer la recharge des véhicules électriques en fonction de la tension de la caténaire. Une stratégie basée sur des règles de «droop control» a permis d’adapter le système de gestion de l’énergie de façon à maximiser la récupération de l’énergie de freinage des trains (figure 5). Ainsi, si la tension diminue, la puissance de recharge des VE est proportionnellement réduite. À l’inverse, si la tension augmente, la puissance de recharge est augmentée, au maximum jusqu’à l’atteinte d’un seuil de saturation (tableau 3). En suivant le même principe, la fonction V2G permet d’injecter de l’énergie provenant des batteries des véhicules électriques sur la caténaire afin d’améliorer le plan de tension.
L’étude réalisée à l’aide de simulations de la ligne en tenant compte des spécificités ferroviaires a permis de comparer l’impact sur la ligne de chacun des trois microgrids ferroviaires par rapport au cas de référence, c’est-à-dire sans microgrid ferroviaire (tableau 4). Afin d’analyser la tension vue par les trains au niveau de la caténaire, le microgrid ferroviaire de la centrale PV linéaire a été désactivé. Bien que les critères de tension soient conformes à la norme – la tension de la caténaire reste en effet largement supérieure au seuil minimal de 500 V (voir tableau 4) –, la fonction V2G a été étudiée afin d’évaluer son apport au système ferroviaire (figure 6). Il est à noter que cette fonction pourrait aussi être réalisée par la décharge d’une batterie stationnaire.
Les résultats obtenus soulignent l’intérêt d’avoir recours aux trois microgrids ferroviaires pour maximiser la récupération de l’énergie de freinage des trains, qui atteint ainsi 44% au lieu de 19% pour la situation de référence. À noter encore que les trains se croisant récupèrent naturellement une partie de l’énergie de freinage. Pour le système ferroviaire, l’utilisation de tels microgrids constitue également une solution de renforcement du plan de tension de la caténaire, comme le montre la figure 6 pour la zone de Martigny.
Dans l’objectif de valoriser l’infrastructure électrique ferroviaire suisse, la connexion d’un microgrid en emprise ferroviaire permet d’y intégrer des centrales PV linéaires ainsi que des bornes de recharge pour véhicules électriques. L’architecture retenue repose sur un bus DC stabilisé en tension par le biais d’un convertisseur connecté à la caténaire. Les fonctions de sécurité sont assurées par une intégration du ou des microgrids au schéma de protection défini selon les normes ferroviaires.
Les surfaces disponibles le long des voies peuvent être exploitées à l’aide d’une centrale PV linéaire dont la production est acheminée vers les consommateurs par le biais d’un bus DC à 1500 V. Dans le cas d’application du Mont-Blanc Express, cette production est en partie autoconsommée par les trains, et l’excédent est injecté dans le système de stockage d’énergie de la sous-station réversible de Vernayaz. En absence de système de stockage d’énergie, il est pertinent d’exploiter cette énergie renouvelable et locale pour alimenter un ou plusieurs microgrids ferroviaires dédiés à la recharge des véhicules électriques stationnés à proximité des gares.
Les résultats obtenus avec ce cas d’étude ont démontré que le taux de récupération de l’énergie de freinage des trains pouvait atteindre 44% – au lieu de 19% sans microgrids ferroviaires –, tout en garantissant le plan de tension nominale nécessaire à l’exploitation de la ligne ferroviaire. Ils démontrent ainsi la pertinence de valoriser les infrastructures existantes du réseau ferroviaire à l’aide de microgrids.
Pour compléter l’étude de faisabilité technique et énergétique, il est désormais nécessaire d’établir la pertinence financière de cette solution. De précédents projets d’intégration de systèmes de stockage d’énergie ont démontré une réduction des investissements de 30%, liée à la valorisation des infrastructures électriques existantes (sous-station, raccordement MT, ligne électrique). Enfin, une étude environnementale devrait permettre d’évaluer les gains réalisés par la valorisation d’un actif existant tel qu’une infrastructure électrique ferroviaire.
Toutes ces études ont pour objectif d’aboutir à la mise en place d’un premier microgrid ferroviaire basé sur un cas d’étude suisse, soit en DC (sur une ligne régionale), soit en AC. Dans ce dernier cas, la seule modification nécessaire porte sur le convertisseur connecté à la caténaire. Enfin, la partie microgrid prévue pour les centrales PV linéaires peut également être intégrée en emprise routière, ainsi que l’envisage l’Office fédéral de l’énergie.