Opinions
Une marque de pauvreté pour la riche Suisse
« Après la COP29, les pays les plus pauvres du Sud sont repartis abasourdis par le refus du Nord de pratiquer une forme de justice climatique. En Suisse, le débat sur sa mise en œuvre ne fait que commencer », estime Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud.
Pendant deux semaines, les pays du Sud se sont battus à Bakou pour un nouvel objectif de financement climatique qui répartirait équitablement les coûts liés à la crise climatique et garantirait un soutien financier adéquat de la part du Nord. Mais ils se sont heurtés à l'opposition des pays riches.
La conférence était déjà en sursis lorsque les représentants des pays les plus pauvres et des petits États insulaires en développement ont exprimé leur désespoir et leur colère face au manque d'empressement du Nord à augmenter ses contributions financières. Ils sont déjà menacés dans leur existence par la montée du niveau de la mer et d'autres effets dévastateurs du réchauffement climatique. Quelques heures plus tard, ils ont été contraints d'accepter une proposition à peine meilleure s'ils voulaient obtenir une quelconque conclusion à la conférence sur le financement climatique.
Le constat de départ de la COP29 était tout simplement que le Sud global présentait un énorme déficit de financement non couvert qui l’empêchait de mettre en œuvre des contributions nationales adéquates pour atteindre l'objectif de 1,5 degré et de couvrir les dommages et les pertes liés au climat. Tout cela sans compter les obstacles donnant accès au financement climatique déjà existant. Au total, un objectif de financement de 1000 milliards de dollars par an était réclamé par des organisations telles qu'Alliance Sud (contre 300 milliards finalement promis à Bakou, ndlr).
L'idée d'élargir la base de donateurs a été perçue comme une façon pour les pays industrialisés de se détourner de leurs responsabilités.
Le Sud tente de faire pression
Des études démontrent que, dans l'ensemble des pays les plus pauvres et des petits États insulaires, en termes d'adaptation aux changements climatiques, le déficit ne peut pas être comblé par des investissements privés. Les investisseurs refusent en effet d’intervenir et les pays déjà fortement endettés ne peuvent pas se permettre d'investir des capitaux privés au prix demandé. C'est pourquoi les pays du Sud et la société civile ont fait pression pour que le nouvel objectif de financement climatique comprenne bien plus de fonds publics sous forme de subventions et de crédits à taux fortement réduit.
La position des pays donateurs actuels a été perçue comme injuste par la société civile, car ils n'ont fait aucune offre pour augmenter leurs propres contributions au financement climatique. Et ce, même si l'Accord de Paris les place clairement en position de responsables. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre le fort scepticisme d'une grande partie de la société civile sur l'idée d'élargir la base de donateurs. Elle a été perçue comme une façon pour les pays industrialisés de se détourner de leurs responsabilités.
La Suisse affaiblit le multilatéralisme
Chez Alliance Sud, nous avons soutenu la demande de la Suisse d'inclure de nouveaux pays donateurs, mais avons toujours attiré l'attention sur le fait que cela devait être lié à une augmentation de ses propres contributions. Or, certaines déclarations de la Suisse dans les médias - pendant et après la COP29 - ont malheureusement confirmé ce que les pays du Sud soupçonnaient déjà : les pays industrialisés veulent se soustraire à leurs propres responsabilités en utilisant l'argument de la base des donateurs. Par ce comportement, notre pays affaiblit en fin de compte le multilatéralisme, dont il dépend lui-même en tant que petit État.
La Suisse doit dès à présent mettre en œuvre le nouvel objectif de financement climatique et assumer sa juste part des coûts engendrés par la crise climatique, notamment dans les pays les plus pauvres du Sud - et ce dans son propre intérêt. Cela permettra d'éviter de nouveaux dommages, de sauver des vies humaines et d'empêcher de nouvelles causes d'exode. Et seule une augmentation massive du financement climatique permettra de réussir la transition partout sur la planète.
À lire aussi sur le site d'Alliance Sud: le commentaire de son directeur Andreas Missbach sur la position controversée du Conseil fédéral lors de la COP29.
Delia Berner a représenté Alliance Sud au sein de la délégation suisse à la COP29. Ce commentaire a été rédigé en son nom propre et non au nom de la délégation.