Marcel Hänggi, né en 1969 à Zurich, a longtemps exercé comme journaliste, notamment pour des sujets liés à la science, à la technologie et au climat. Historien de formation, il est également l’une des figures clés derrière l’initiative populaire « Pour les glaciers », à l’origine du nouveau cadre législatif suisse sur le climat adopté en 2023.
Il vient de publier « Une Constitution pour la transition écologique », version française de son livre « Weil es Recht ist » (2024), dans lequel il propose de repenser en profondeur la Constitution afin de mieux protéger à la fois l’environnement et les institutions démocratiques face aux crises écologiques à venir. À noter qu’il œuvre aujourd’hui pour la Fondation suisse de l’énergie (SES). Entretien
Votre livre apparaît comme un coup de gueule contre nos politiciens. Estimez-vous que la Suisse manque d’ambition en matière de politique climatique ?
Oui, et je ne suis pas le seul à le penser : la Cour européenne des droits de l’homme l’a constaté en 2024. Et il ne s’agit pas d’un simple avis consultatif, mais d’un arrêt contraignant. Pourtant, au lieu de s’interroger sur les conséquences à en tirer, le Parlement et le Conseil fédéral s’indignent. – Après, pour être honnête, aucun pays ne fait réellement preuve d’une ambition suffisante…
Plusieurs aspects liés à la durabilité et à la protection du climat figurent déjà dans la Constitution… En quoi sont-ils insuffisants ?
S’agissant de la protection de l’environnement, les dispositions constitutionnelles sont, dans l’ensemble, étonnement bonnes. Le problème, c’est que la politique ne les prend pas au sérieux. Prenons par exemple l’initiative populaire des Jeunes Verts « Pour une économie responsable respectant les limites planétaires », soumise au vote en janvier : aucun canton ne l’a acceptée. Pourtant, cette initiative demandait simplement de respecter les limites planétaires. Or notre Constitution fait de la « conservation durable des ressources naturelles » un objectif même de la Confédération. Comment pourrait-on conserver les ressources naturelles (ou, comme le disent plus joliment les versions allemande, italienne et romanche, « les bases de la vie ») si l’on ne respecte pas les limites planétaires ?
Ce qui manque dans le texte constitutionnel, en revanche, c’est la dimension de l’adaptation à des crises réellement destructrices, comme la crise climatique, celle de la biodiversité ou encore la contamination de nos eaux et de nos sols par des substances telles que les PFAS. Et je ne parle pas d’adaptations techniques, comme les ouvrages de protection contre les crues, mais bien de la résilience de la démocratie et de l’État de droit eux-mêmes, qui seront mis en danger par de telles crises. Il existe bien, dans la Constitution, un article invitant à promouvoir la démocratie dans les affaires étrangères, ainsi qu’un autre imposant la démocratie aux cantons. Mais, à part le préambule, aucun article ne traite de la démocratie au niveau fédéral – de sa protection ni de son développement continu.
Ce qui manque dans le texte constitutionnel, en revanche, c’est la dimension de l’adaptation à des crises réellement destructrices, comme la crise climatique.
Au fil des ans, les textes ont été adaptés en faveur du climat, notamment grâce à des initiatives comme celle pour les glaciers… N’est-ce pas le meilleur système pour faire évoluer les textes ?
Mon expérience avec l’initiative pour les glaciers et avec la loi climat est ambivalente. D’un côté, nous avons remporté une victoire : nous disposons désormais d’une loi dotée de beaux objectifs. Mais une loi n’a de valeur que si l’on a la volonté de la mettre en œuvre. Or ni le Parlement ni le Conseil fédéral ne montrent une telle volonté. Et puisque la Suisse ne connaît pas de véritable juridiction constitutionnelle, il n’est pas possible de contraindre notre gouvernement à prendre au sérieux ses propres lois — ni même la Constitution.
Vous critiquez le fait que les Suisses ne puissent répondre que par « oui » ou « non » lors des votations, mais le système démocratique implique que le Parlement représente le peuple et parle en son nom. Pourquoi faudrait-il adapter ce système pour le climat ?
C’est en m’engageant pour la loi climat que j’ai pris conscience d’une deuxième faiblesse de notre système démocratique. Une campagne de votation n’est pas une véritable délibération. Lorsque, par exemple, l’UDC affirme que nous n’aurions pas suffisamment d’électricité pour réussir la transition énergétique, nous sommes contraints de répondre : « Mais si, nous pouvons disposer d’assez d’électricité à un prix raisonnable, comme le montrent les scénarios scientifiques. »
Cette réponse est correcte, bien sûr. Mais la question bien plus intéressante — et bien plus pertinente pour une société démocratique — serait plutôt : qu’est-ce que cela signifie, « suffisamment » ? Suffisamment pour couvrir les besoins de base, ou suffisamment pour chauffer son jacuzzi dans le jardin tout l’hiver ?
Que proposez-vous de vraiment différent dans votre livre ? Quelle serait la Constitution idéale pour une transition écologique plus rapide et réussie (1–2 exemples concrets) ?
Une Constitution pensée pour la transition écologique doit, d’une part, protéger l’environnement contre les interventions humaines : c’est l’objectif de l’atténuation. D’autre part, elle doit protéger la société et les institutions démocratiques contre les effets d’un environnement qui se dérègle : c’est l’objectif de la résilience.
La résilience — au sens originel du terme, au-delà de l’usage devenu banal — signifie la capacité à se préparer à l’imprévisible. Et pour pouvoir affronter l’imprévisible, il faut des institutions démocratiques robustes, capables de permettre une véritable délibération entre les citoyennes et les citoyens.
La Constitution de l’Équateur de 2008 est particulièrement intéressante. Elle reconnaît des droits à la nature et fait référence au concept indigène andin de « Pachamama ».
Quel est donc l’exemple de l’Équateur que vous mentionnez dans votre livre ?
La Constitution de l’Équateur de 2008 est particulièrement intéressante. Elle reconnaît des droits à la nature et fait référence au concept indigène andin de « Pachamama ». Ce concept invite à percevoir la nature non pas comme quelque chose qui entoure les êtres humains — comme le suggèrent les mots « environnement » ou « Umwelt » en allemand — mais comme quelque chose dont les humains font pleinement partie. Je ne dis pas que nous devrions transposer ce concept tel quel en Suisse, mais propose de s’en inspirer.
Comment observez-vous les attaques répétées contre la science climatique dans plusieurs pays (dont la Suisse) ?
Il n’appartient pas aux sciences de prendre des décisions politiques, mais celles-ci devraient s’appuyer sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles. Les attaques contre les sciences du climat sont ciblées et coordonnées, et elles sont amplifiées par des réseaux dits « sociaux » échappant à tout contrôle démocratique.
Mais le déni de la crise climatique n’en représente que l’extrémité la plus visible. Si l’on observe, par exemple, la manière dont le Conseil fédéral justifie ses propositions d’économies dans le cadre de son programme d’allégement budgétaire 2027, on constate qu’il s’agit de la simulation d’un processus prétendument fondé scientifiquement — ce qu’il n’est pas réellement.
Quel regard portez-vous sur la politique actuelle, où des pays — Suisse comprise — reculent sur la question climatique ou ne respectent pas les calendriers promis dans le cadre des accords de Paris ?
Je porte aujourd’hui un regard différent de celui que j’avais il y a un an, lorsque j’ai terminé le manuscrit de mon livre en allemand, avant l’élection de Donald Trump. Avec le mépris que Trump et ses épigones affichent pour le droit international, je crains que tout le système construit après les catastrophes de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah ne vacille. L’idée que les relations internationales devraient reposer sur le droit, la raison et la justice, plutôt que sur la seule puissance, me semble aujourd’hui sérieusement menacée.
Enfin votre avis sur les résultats de la Cop30 de Belém?
Le résultat de Belém est très faible. Aucune feuille de route pour sortir des énergies fossiles ne figure dans le document final, alors même qu’il s’agissait d’une priorité pour la présidence brésilienne. Depuis dix ans, les pays producteurs de pétrole et de gaz empêchent de parvenir à un accord explicite sur ce qui découle pourtant logiquement de l’Accord de Paris : la fin des énergies fossiles.
À cet égard, l’Accord de Paris et la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques ressemblent à la Constitution fédérale : de beaux textes légaux, qui fixent des objectifs et des principes essentiels, mais que les États qui les ont négociés ne prennent pas réellement au sérieux.