Vers une TVA plus écologique ?

Alors qu'en Europe les esprits changent et que l'idée d'une TVA différenciée selon des critères environnementaux circule dans les hémicycles, Adèle Thorens Goumaz se demande si la Suisse ne devrait pas suivre le mouvement.

Vers une TVA plus écologique ?
Adèle Thorens Goumaz, ancienne conseillère nationale et aux États, aujourd'hui professeure HES à la HEIG-VD

En Suisse, le principe du pollueur-payeur fait partie des fondements du droit de l’environnement. Il figure à l’article 74 de la Constitution et exige que les frais de prévention et de réparation des atteintes à l’environnement soient à la charge de ceux qui les causent.

Ce principe est cependant très mal appliqué. De nombreux biens et services défavorables à l’environnement sont aujourd’hui disponibles à un prix avantageux, alors que les alternatives écologiques coûtent plus cher. Dans ces conditions, un mauvais signal est donné aux consommateurs et les options les plus respectueuses de l’environnement sont parfois inabordables pour les ménages à bas revenus. Cette situation défavorise sur le marché les entreprises qui s’efforcent de préserver les ressources naturelles, souvent au prix de gros efforts en termes d’innovation et d’investissements, alors que celles qui n’assument pas leurs responsabilités environnementales ont la vie facile.

Moduler la TVA selon des critères de durabilité

La fiscalité écologique prétend répondre à ce problème en internalisant les coûts environnementaux dans les prix des biens et services, conformément aux exigences constitutionnelles. En Suisse, la taxe CO₂ sur le mazout ou les déductions d’impôts lors d’assainissements énergétiques du bâtiment en sont des exemples. L’un des plus importants prélèvements fiscaux au niveau fédéral échappe toutefois à cette logique. Il s’agit de la TVA. Des taux différenciés existent bien, puisque des produits de première nécessité, comme les denrées alimentaires ou les médicaments, sont moins taxés. Mais ces réductions fiscales ne sont liées à aucun critère environnemental.

En 2009, alors que le Conseil fédéral proposait une révision très controversée de la TVA, j’avais demandé, par voie de postulat, un rapport sur la manière dont on pourrait la moduler selon des critères de durabilité. L’objectif était de favoriser une consommation et une économie responsables, par exemple en imposant une taxation plus clémente pour les biens et services disposant de labels de durabilité. Le Conseil fédéral, comme le Conseil national, avait refusé sèchement de réaliser un tel rapport. Ils souhaitaient à l’époque simplifier la TVA et ma proposition allait à leurs yeux à contresens.

Actuellement, une proposition de TVA circulaire réduite de 5,5 %, portée par le député Stéphane Delautrette, est en outre discutée à l’Assemblée nationale en France.

Changement des mentalités

Mais le temps passe, et les mentalités changent. En avril 2022, l’Union européenne a adopté une directive permettant d’encourager l’application de taux réduits pour les biens et services respectueux de l’environnement. La même année, en France, une soixantaine d’entreprises ont signé une lettre ouverte demandant l’instauration d’une TVA différenciée selon des critères environnementaux.

Actuellement, une proposition de TVA circulaire réduite de 5,5 %, portée par le député Stéphane Delautrette, est en outre discutée à l’Assemblée nationale en France. L’idée est de réparer plutôt que de jeter, afin de réduire le gaspillage des ressources. La TVA circulaire porterait ainsi sur les activités de réparation dans les secteurs des cycles, des textiles et de l’électroménager. L’objectif est de soutenir les professionnels du secteur et de maintenir une offre suffisante sur l’ensemble du territoire français. Le projet est en cours de traitement et doit encore passer par le Sénat. Il montre que l’idée d’appliquer les principes de la fiscalité écologique à la TVA gagne du terrain.

Les risques à prendre en compte

Évidemment, la mise en place d’une TVA verte implique des risques et ne sera pas simple. Suivant la manière dont elle est conçue, elle peut générer une réduction des recettes fiscales, qu’il faudra bien compenser. Si l’on décide d’augmenter la taxation, et donc les prix, des biens et services écologiquement problématiques, il faut en outre veiller à ce que des alternatives plus durables et surtout accessibles existent, sans quoi les ménages à revenus modestes sont pénalisés.

Le fait de payer pour les dégâts environnementaux que l’on génère ne peut, ni ne doit être considéré comme un « permis de polluer ».

Un monitoring doit par ailleurs permettre de vérifier que les réductions fiscales sont bien répercutées sur le prix des biens concernés. L’objectif est en effet de soutenir les entreprises les plus responsables, mais aussi de rendre leurs produits et services plus abordables pour les consommateurs.

Enfin, il faut garder à l’esprit que la fiscalité écologique, qu’elle porte sur la TVA ou qu’elle prenne d’autres formes, n’est pas toujours la panacée. Le fait de payer pour les dégâts environnementaux que l’on génère ne peut ni ne doit être considéré comme un « permis de polluer ». Dans le cas de produits ou services particulièrement polluants, il ne suffit pas d’internaliser les coûts environnementaux. Mieux vaut, via des prescriptions techniques bien conçues, les sortir tout simplement du marché, en particulier quand des alternatives écologiques et abordables existent.

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