« La mise en service d’une nouvelle centrale nucléaire avant 2050 est improbable »

Dans son dernier rapport, la Commission de l’énergie des Académies suisses des sciences a souhaité « fournir aux décideurs politiques et industriels ainsi qu’au grand public des informations fondées, pour permettre un débat aussi rationnel que possible » sur l'avenir du nucléaire en Suisse.

« La mise en service d’une nouvelle centrale nucléaire avant 2050 est improbable »
Dessin de la page de garde du rapport « Perspectives de l’énergie nucléaire en Suisse ». @SCNAT

Le débat sur le nucléaire se poursuit en Suisse, et les mentalités évoluent rapidement, comme l’a démontré un récent sondage de l’AES, réalisé par l’institut gfs.bern. Pour la première fois depuis de nombreuses années, une courte majorité de citoyens (56 %) se déclare favorable, ou plutôt favorable, à envisager la construction de nouvelles centrales nucléaires.

En Suisse, comme ailleurs, l’atome est à nouveau perçu par certains comme une sorte de Saint Graal : la solution miracle pour décarboner notre approvisionnement énergétique, en complément du développement des énergies renouvelables. Mais cette piste est-elle réellement envisageable dans un pays qui a officiellement décidé de tourner la page nucléaire une fois sa dernière centrale définitivement fermée ?

Dans un rapport publié il y a quelques jours, la Commission de l’énergie des Académies suisses des sciences a voulu (re)poser les bases du débat, afin d’évaluer si le nucléaire peut réellement constituer une option sérieuse pour la Suisse dans sa transition vers la neutralité carbone. « Il fournit aux décideurs politiques et industriels ainsi qu’au grand public des informations fondées, pour permettre un débat aussi rationnel que possible », souligne le document.

Voici les trois points clés à retenir de ce rapport, dirigé par Urs Neu, président de la Commission élargie de l’énergie des Académies suisses des sciences.

1️⃣
Long parcours politique : À ce stade, la Suisse reste dans une situation où le peuple a voté en faveur de la sortie du nucléaire. La première étape vers une éventuelle remise en question de l’interdiction de construire de nouvelles centrales se jouera dans les urnes, à l’occasion du vote sur l’initiative « Stop au blackout » ou sur le contre-projet indirect.

Si cette interdiction venait à être levée, il faudrait encore adopter une loi sur le financement, puis engager de longues discussions pour désigner un exploitant, obtenir les autorisations générales, ainsi que les permis de construction et d’exploitation. Chaque étape est incertaine et sujette à des retards, car elles dépendent autant de facteurs politiques et économiques que de considérations technologiques.

Enfin, en imaginant que tous les obstacles politiques soient levés et que la Suisse entame effectivement la construction d’une nouvelle centrale, il faudrait encore patienter — au minimum — une dizaine d’années avant sa mise en service. « La mise en service d’une nouvelle centrale nucléaire avant 2050 est improbable », assurent les chercheurs. Cette perspective temporelle réduit à néant les espoirs de celles et ceux qui comptent sur le nucléaire pour faire de la Suisse un pays neutre en carbone d'ici le milieu du siècle.
@SCNAT
2️⃣
Evolution technologique : Dans leur rapport, les chercheurs ont détaillé les dernières avancées technologiques dans le domaine du nucléaire, afin de fournir une vision complète du dossier. Comme nous l’évoquions dans un précédent article, deux modèles radicalement différents s’affrontent aujourd’hui.

D’une part, les réacteurs de forte puissance misent sur la centralisation de la production, avec des unités d’environ 1 600 MW. D’autre part, les Small Modular Reactors (SMR), des réacteurs de conception plus récente, offrent une capacité électrique comprise entre 10 MW et 300 MW. Quelques prototypes de SMR sont actuellement en test en Russie et en Chine. D’autres sont en cours de développement en Argentine, au Canada, en Corée du Sud et aux États-Unis, où plus de 80 unités sont destinées à un usage commercial.

Que ce soit pour les SMR ou les grandes centrales, l’enjeu actuel se joue sur leur technologie. La grande majorité des quatre cent quinze réacteurs civils en service dans le monde sont de générations I à III et refroidis à l’eau. Si la nouvelle génération, dite III/III+, repose elle aussi sur l’eau, elle se distingue par des systèmes de sécurité passifs, qui ne dépendent ni d’une alimentation énergétique externe ni d’une intervention humaine.

La lenteur helvétique pourrait néanmoins se transformer en atout, en permettant à la Suisse de passer directement à la génération IV. Cette nouvelle génération de réacteurs n’utilise plus un refroidissement conventionnel à l’eau, mais s’appuie sur des gaz, des métaux liquides comme le plomb ou le sodium, ou encore des sels fondus. Ces technologies promettent « d’augmenter le rendement tout en améliorant nettement la sécurité des installations, du fait que ces réacteurs fonctionnent à une pression nettement moindre et réduisent fortement la production de déchets hautement radioactifs ». Toutefois, de manière un peu similaire aux belles promesses de la fusion nucléaire, ces avancées restent encore très hypothétiques à ce stade de la recherche.
3️⃣
Enjeu financier : Qu’il s’agisse d’une centrale de génération III/III+, de SMR ou d’une autre technologie à venir, l’un des défis majeurs de la construction d’un nouveau réacteur reste le financement. Les exemples internationaux sont sans équivoque : aujourd’hui, la construction d’une nouvelle centrale nucléaire dépend de lourdes subventions publiques. « Il faudrait des années, voire des décennies, avant que de nouvelles centrales nucléaires puissent être exploitées de manière économiquement viable en Suisse », rappelait sur SwissPowerShift Stefan Klute, responsable du secteur nucléaire chez BKW.

Le rapport précise par ailleurs que la Suisse devrait inévitablement se tourner vers l’étranger pour une éventuelle nouvelle installation. « La base industrielle nécessaire à la construction de nouvelles centrales nucléaires s’est fortement contractée en Europe », soulignent les auteurs. Les rares acteurs encore capables de mener à bien un tel projet se trouvent désormais en France, aux États-Unis, en Corée du Sud, au Japon, et éventuellement en Chine. « La plupart des entreprises proposant actuellement de nouveaux réacteurs nucléaires font ou ont fait face à d’importantes difficultés financières et/ou sont sous contrôle étatique », rappellent les scientifiques de la Commission de l’énergie des Académies suisses des sciences.

L’enjeu financier s’avérerait d’autant plus complexe dans un mix énergétique de plus en plus axé sur les énergies renouvelables. « Le marché de l’électricité aura surtout besoin d’installations flexibles pour la production, le stockage et la consommation, afin de garantir un approvisionnement stable », indique le rapport. Il précise également qu’en été, sous l’effet de l’essor du photovoltaïque, une nouvelle centrale pourrait se retrouver contrainte de payer pour injecter son électricité sur le réseau.

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