« Le nucléaire ne constitue pas une concurrence aux énergies renouvelables »

Le 20 décembre 2024, pour répondre à l’initiative populaire « De l’électricité pour tous en tout temps (Stop au blackout) », le Conseil fédéral dévoilait son propre contre-projet. En consultation jusqu'au 3 avril, le texte propose de modifier la loi sur l’énergie nucléaire afin de permettre à de nouvelles centrales d’être à nouveau approuvées en Suisse.

« L’objectif est de favoriser l’ouverture aux différentes technologies dans la politique énergétique de la Suisse, en incluant l’énergie nucléaire, et donc de créer une assurance en matière d’approvisionnement en électricité pour le cas où les énergies renouvelables ne pourraient pas être développées dans la mesure souhaitée, où il n’y aurait pas assez de progrès dans le stockage saisonnier de l’électricité et où il n’y aurait pas d’autres solutions respectueuses du climat pour garantir la production d’électricité », peut-on lire sur le site de la Confédération.

Depuis le début de l'année, les réactions ont été nombreuses et souvent opposées. Durant le mois de mars, il s’agira de faire le point sur les différentes opinions et de déterminer ce qu’en pensent les acteurs du secteur. On poursuit la série d'interviews avec Laurent Ducrest, Responsable production thermique et environnement chez Groupe E. Entretien

Quelle est votre position et opinion sur l’idée de relancer la filière nucléaire en Suisse ?

Groupe E privilégie le développement des énergies renouvelables, telles que l’hydraulique, le solaire et l’éolien, dans le respect de la volonté populaire. Toutefois, l’énergie nucléaire demeure nécessaire à court et moyen terme pour garantir l’approvisionnement en électricité, notamment dans le cadre de la transition énergétique et de l’augmentation des besoins indigènes.

Notre entreprise ne prévoit pas de construire de nouvelles centrales nucléaires. Leur construction est un processus long et coûteux, qui n’est pas à la portée de toutes les entreprises du secteur. De plus, leur exploitation serait peu rentable, leur utilité étant principalement limitée à la période hivernale.

L’évolution des technologies et des besoins énergétiques à long terme exigera néanmoins une réflexion continue et pragmatique sur l’ensemble des solutions disponibles. Dans cet esprit, Groupe E se concentre sur les alternatives les plus adaptées aux défis énergétiques à venir, tout en restant attentif aux évolutions du paysage énergétique et aux décisions politiques futures.

Les SMR présentent l’avantage d’être standardisés, ce qui pourrait faciliter les procédures d’autorisation, la construction, la mise en service et la formation du personnel.

En cas de réouverture de cette porte en Suisse, sur quel type d'énergie nucléaire devrait-on miser : de nouveaux grands réacteurs ou de petits réacteurs modulaires de type SMR ou AMR ?

Il est encore trop tôt pour déterminer quel type de réacteur serait le plus adapté. Deux options sont envisageables : un grand réacteur sur un site existant ou plusieurs petits réacteurs modulaires (SMR) répartis sur différents sites. Les SMR présentent l’avantage d’être standardisés, ce qui pourrait faciliter les procédures d’autorisation, la construction, la mise en service et la formation du personnel.

Un facteur clé sera également la durée des procédures et le financement de ces projets. Étant donné leur horizon à long terme, une implication de la Confédération, à l’image du soutien apporté aux centrales de réserve, pourrait s’avérer nécessaire.

En Suisse, dispose-t-on des capacités techniques et d'un nombre d'experts suffisants pour avoir de nouvelles ambitions dans le nucléaire et cela dans des délais raisonnables ?

Non, actuellement, la Suisse ne dispose ni des capacités techniques ni d’un nombre suffisant d’experts pour développer de nouvelles ambitions nucléaires à court terme. Former des spécialistes en génie nucléaire requiert plusieurs années, mais des formations existent déjà, favorisant une montée en compétences progressive.

Les fournisseurs de technologies nucléaires apporteraient également un soutien technique, et la standardisation des petits réacteurs modulaires pourrait simplifier les procédures tout en réduisant les besoins en experts locaux.

Non, actuellement, la Suisse ne dispose ni des capacités techniques ni d’un nombre suffisant d’experts pour développer de nouvelles ambitions nucléaires à court terme.

En cas de relance du nucléaire, ne faudrait-il pas craindre une réduction des investissements dans les autres sources d’énergies renouvelables ?

Ce ne sera pas forcément le cas. Il conviendra d’allouer les ressources là où leur impact sera le plus significatif. Les différentes sources d’énergie sont complémentaires, et le nucléaire ne constitue pas une concurrence aux énergies renouvelables.

Nous privilégions une approche équilibrée, dans laquelle l’hydraulique, le solaire et l’éolien jouent un rôle central, tout en intégrant d’autres technologies complémentaires. Notre engagement est de maximiser l’impact de nos investissements sur la transition énergétique et de contribuer activement à un mix énergétique durable et résilient.

Enfin, la Suisse participe et investit depuis de nombreuses années dans le programme européen de recherche sur la fusion nucléaire… Un mythe inaccessible ou une voie d’avenir dans laquelle il faut continuer à croire et investir ?

La fusion nucléaire est souvent considérée comme une solution énergétique d’avenir prometteuse. Cependant, sa mise en œuvre à l’échelle industrielle demeure un défi majeur en raison de sa complexité technique et du temps nécessaire à son développement.

La Suisse doit poursuivre la recherche, mais surtout investir dans le développement des énergies renouvelables.